Chapitre 1 : La Plage de Mawario

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   Mawario, petite ville d'Australie à la silhouette sympathique, les pieds dans la Mer de Corail, était balafrée par un bombardement de guerre. Les familles ont cicatrisé mais la terre avait encore ses bandages, la Rue poussiéreuse en était la preuve. Stephen Maxson, trente-deux ans, ayant toujours vécu dans cette ville, avait perdu son frère Nelson. Avant de mourir, ce dernier avait sacrifié un éventuel dernier souvenir de lui pour confier un savoir important à Stephen.

Des siècles auparavant, un explorateur de renom avait été envoyé par la Grande Bretagne pour fonder une ville. Il aurait très bien pu refuser, toute la gloire et la richesse du monde lui appartenait déjà, mais son intuition légendaire le poussa vers sa dernière aventure. Un immense banc de poissons et une baleine d'apparence mythique accompagnaient le navire durant six mois jusqu'à ce que la baleine, lassée des innombrables et futiles coups de canon portés par l'explorateur, détruise le vaisseau. Dans les secondes qui suivirent l'assaut, le banc fondit sur l'équipage et le tua... du moins, c'était ce que les marins croyaient. Il se réveillèrent au matin sur une plage, dévorés par la faim, et sombrèrent dans le cannibalisme. Leurs cadavres devinrent des roches, et ils étaient toujours accompagnés par la Baleine.

La célèbre Plage de la Baleine avait une particularité : lorsqu'une âme était jugée digne par le sable, elle se développait en un stand, une incarnation visible uniquement par les manieurs de stand ayant un pouvoir unique (sauf exceptions).

Nelson avait eu un stand, contrairement à Stephen. Il était donc compliqué pour l'homme de continuer l'œuvre de son frère : recenser tous les manieurs de stand de la ville pour les garder à l'œil, et ainsi assurer la sécurité de tous.

***

Cela faisait plusieurs jours que Stephen filait une jeune femme de pas plus de vingt ans d'origine aborigène et membre d'un gang, la suspectant d'avoir un stand. Plusieurs phénomènes étranges se produisaient autour d'elle : l'argent qu'elle donnait pour s'acheter de quoi vivre dans les supérettes disparaissait dés qu'elle avait quitté le magasin, les garçons qui s'enchaînaient pour sortir avec elle -une relation durant rarement plus d'une heure- se retrouvaient tous avec l'oreille gauche percée, et sa moto était en bois. La moto était entièrement faite en chêne, même les pneus et les pots d'échappement, pourtant, elle semblait parfaitement fonctionnelle, son état était impeccable même si la motarde n'en prenait pas du tout soin et était comme ignorante de l'existence d'un code de la route. Malgré sa conduite téméraire, Mégane (car c'était comme ça qu'elle se présentait) n'avait aucun semblant de blessure.

Stephen ne se cachait pas pour la suivre mais elle n'était pas inquiète de toujours le croiser, elle se sentait sûrement en sécurité grâce à son stand. Ou alors elle ne l'avait juste pas remarqué, elle ne paraissait pas faire attention à son entourage.

Mégane déjeunait dans une petite pizzeria avec un homme un peu plus jeune que Stephen. Il avait de longs cheveux teints en rouge sauf sur une mèche et ses vêtements noirs étaient très légers, une femme les portant se serait fait siffler de nombreuses fois en une heure. Son sourire illuminait le lieu.

«-Alors, ma petite Mégane, ce repas avec moi te plaît ? Je devrais t'inviter plus souvent, non ?
-Je ne dirai jamais non à une pizza gratuite mais tu paierais jamais rien sans attendre quelque chose en retour.
-Ha ha... Je vois que tu vois clair dans mon jeu. Ta moto, c'est un stand, je crois. Je veux te l'acheter.
-C'est mort. J'ai vécu trop de trucs avec Don't Stop Me Now pour m'en séparer.»

L'homme avec qui elle parlait échangea son sourire radieux contre un rictus glaçant. Son nom, Dr Dorf, était connu dans toute la ville comme étant celui d'un très bon psychologue et d'une oreille attentive. Ce qui ne se savait pas, c'était qu'il se servait de son métier pour collecter toutes sortes d'informations pour ensuite faire du chantage. Mais il revendait aussi ses informations aux offrants. C'étaient là ses réelles sources de revenus.

«-Ecoute, ma petite Mégane, je sais que tu as allégé la cagnotte de la Quinte. Ces gars-là, ce sont pas des agneaux, ils vont s'en prendre à toi s'ils se rendent compte que tu as mystérieusement gagné beaucoup d'argent quand ils en ont mystérieusement perdu beaucoup. Mais si tu me vends ton stand, ta fortune ne sera plus mystérieuse puisque tout le monde pensera qu'elle vient de ta moto.
-C'est mort.»

Stephen sentit une vibration dans sa poche. Ce n'était pas le moment mais il sortit son portable pour voir qui lui avait envoyé un message et lui répondre immédiatement de parler plus tard. Il lâcha un petit cri à peine audible quand il vit que c'était un mail provenant du Dr Dorf. Pourtant, il voyait le psychologue devant lui et il n'avait pas touché le moindre appareil électronique. En avalant sa salive, l'enquêteur inspecta le mail, il ne contenait qu'une photo d'orteil. Passée la surprise, Stephen se dit que le Dr Dorf avait oublié de se déconnecter de son adresse et que quelqu'un avait donc fait une farce en voyant l'occasion. Il rangea alors son portable pour continuer d'observer le dialogue.

«-Ton ami qui te protège, Stephen Maxson, il va mourir si tu refuses mon offre.»

Mégane tourna derechef son visage vers Stephen (elle savait donc depuis le début qu'elle était suivie), il saignait du nez. Comment avait-il pu ne pas y penser ? Le Dr Dorf avait utilisé un stand pour envoyer un mail ! Le trentenaire sortit alors son téléphone à nouveau et le lâcha quand il vit qu'il était recouvert de champignons au chapeau rouge à pois blancs.

«-Voici mon stand, Rumour Has It ! Tu pourrais essayer de sauver ton ami si seulement tu avais fait rentrer ta moto ! Malheureusement pour toi, tu es là sans défense !

-Primo, c'est pas parce que je le laisse me suivre que c'est mon ami. Deuxio, j'ai pas besoin de Don't Stop Me Now pour me défendre.»

Dés qu'elle eut fini ces mots, un clef à molette sortit de sa manche et s'envola pour frapper le Dr Dorf au visage. Pour se battre, Mégane n'utilisait généralement pas un stand mais un art ancestral aborigène appelé impulsion.

La Baleine de Mawario (Premier Jet)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant