L'aube d'une nouvelle ère

Chapitre 32 : Face aux flammes

Les aventuriers retrouvèrent le désert de Lonesam, accompagné par Candice et Virgil. Cette fois, ils ne profitaient pas du confort d'un carrosse et d'une escorte aux petits soins pour eux. C'est pas leurs propres moyens qu'ils enjambaient les obstacles d'un chemin tantôt couvert de sable, tantôt rocailleux.
Les murs de Memausus s'éloignaient derrière eux, alors qu'ils longeaient les Martrippe en direction de l'ouest. Le dhampire assurait qu'ils ne tarderaient pas à trouver le supposé gouffre ouvrant en deux les immenses pics de la chaîne de montagne.
Virgil se déplaçait particulièrement aisément au milieu du groupe. Le dhampire ne prenait pas la peine de marcher sur ses propres jambes, il flottait à quelques centimètres du sol, usant d'un sortilège pour s'élever.
Le froid autour de lui s'intensifiait à chaque fois qu'il décidait de prendre un peu de hauteur, où qu'il se laissait retomber doucement vers le sable. Les brusques changements de température, entre le froid émis par Virgil, et la chaleur exsudée par Candice, fatiguaient bien plus les aventuriers que leur simple escapade. Les conditions désertiques n'étaient déjà pas propices à de tels efforts, les auras magiques de leurs accompagnateurs aggravaient le phénomène.
Lily et Hugoi avaient décidé de rester au plus près de l'Enfant des flammes. Leurs corps transpiraient abondamment en conséquence, cependant, ils avaient cela préférable à l'idée de tomber malades à cause des chocs thermiques répétés.
Emil et Aren quant à eux restaient en retrait. L'humain avait souhaité profité de la marche pour expliquer au mage l'accord passé entre Hugoi et Sergio Fortani, à sa façon. L'ingénieur estimait que le meilleur moyen de faire basculer la balance en la faveur de l'assassinat serait de semer la confusion au sein du groupe. Distiller des informations identiques de part et d'autre pour rester cohérent, mais en les présentant de façons bien différentes.
Il comptait dresser un portrait du syndicaliste bien plus sombre quant à ses motivations. En faire un homme avide de pouvoir, prêt à mener une révolution si l'oracle ne répondait pas positivement à ses demandes. S'il pouvait rendre le mage elfe méfiant quant à leur futur client, le comportement de Sergio ne le rassurerait pas. Ses discours rendaient tout à faut plausible les interprétations d'Emil.
Seulement, Aren ne l'écoutait pas. Il focalisait son attention sur Virgil, comme s'il souhaitait le disséquer du regard. Les diverses manœuvres aériennes du dhampire s'accompagnaient du tintement du verre. Il transportait un sac dans lequel il avait rangé différentes potions de guérison des plaies de son crû, et d'intensité variée.
Tout portait à croire que Virgil, au moins, n'essayerait pas de les tuer. Emil s'inquiétait surtout de l'affrontement à venir avec Candice. L'Enfant des flammes n'avait pas prononcé le moindre mot depuis leur départ de Memausus, et son visage fermé ne laissait rien transparaître de ses intentions. L'ingénieur laissait les hypothèses fuser dans son esprit quant à sa réelle nature.
L'Enfant des flammes est son surnom ? Son titre ? Qu'est-ce que disait la légende à son sujet déjà ? L'élue de Cyvid ? Rien ne peut échapper à sa fournaise ? J'aurais dû écouter Ifkès un peu plus sérieusement... Leur guilde vénère son existence, pour quelle raison ?
Emil déglutit avec un bruit sourd. Une possibilité lui revenait sans cesse, et il espérait se tromper, ou ils n'auraient aucune chance de s'en sortir vivant.
— "Nous approchons du gouffre." Indiqua soudainement Virgil, pointant du doigt le flanc de la montagne.
Le groupe longeait une falaise infranchissable, une paroi verticale de plusieurs centaines de mètres de haut bloquant toute bifurcation vers le nord. Cependant, l'escarpement prenait subitement fin. Un défilé ouvrait la montagne sur cinquante mètres de large, avant que la falaise ne reprenne ses droits aussi subitement. Les paroles de Virgil revinrent à l'esprit des aventuriers. C'était bel et bien comme si la roche avait été arrachée des Martrippe.
— "Ce passage continue sur deux kilomètres." Expliqua le dhampire. "Au bout, c'est l'abîme."
— "L'abîme ?" Répéta Lily, peu rassurée par le défilé plongeant dans l'obscurité de la montagne.
— "Au bout se trouve un cratère aux profondeurs insondables. Quelques explorateurs ont tenté de le descendre, et ne sont jamais remontés. Depuis, plus personne ne s'en approche. Même l'avarice des marchands ne suffit pas à confirmer où mène le précipice.
— "La paroi est lisse à l'intérieur..." Constata Hugoi à voix haute, alors qu'il pénétrait dans le défilé à la suite de Candice.
Le groupe observa de plus près le passage. La roche ne comportait pas la moindre aspérité, comme si elle avait été fondue avant de se solidifier. Une telle formation n'avait rien de naturel, et les aventuriers ne parvenaient pas à déterminer quel type de cataclysme pouvait causer la disparition d'un morceau de montagne dans ces conditions.
— "On risque vraiment rien en allant là-dedans ?" S'inquiéta Lily, décidément intimidée par l'aura des lieux malgré son excellente vision nocturne. "Vous allez pas nous jeter dans votre cratère ?"
— "Non, ne t'inquiète pas. J'ai choisi cet endroit car vous pourrez vous affronter sans aucune retenue. Nous ne voudrions pas endommager Memausus. Et puis, les parois sont solides. Il ne devrait pas y avoir d'éboulement."
— "C'est censé me rassurer ?"
— "Ha ha ha... Génial..." Se lamenta Emil à la remarque du dhampire.
— "Quand est-ce que c'est arrivé, ce truc ?" Demanda finalement Okar, qui pendait à la sacoche de Virgil par une ceinture en cuir, et était en conséquence ballotté par les mouvements de ce dernier.
— "Ce défilé t'intéresse ?" Résonna la voix de Candice, qui s'était arrêtée de marcher pour répondre au crâne.
— "Euh... Ouais ?"
— "Le gouffre de Kyros. C'est le nom de cet endroit." Fit l'Enfant des flammes d'une voix glaciale, avant de se remettre en route.
Okar ne répondit pas. Le crâne restait silencieux, se laissant balancer par les manœuvres de Virgil. Une telle réaction de l'orc éveilla la curiosité, et même la méfiance, des aventuriers. Okar en savait beaucoup sur le passé, pour y avoir vécu, et il n'hésitait pas à fanfaronner lorsque ses idées s'avéraient justes. Le voir éviter ainsi de la ramener malgré l'occasion apparaissait suspect.
— "Nous devrions savoir autre chose sur cet endroit ?" Demanda finalement Aren, prononçant ainsi les mots qui brûlaient sur les lèvres de ses camarades.
— "Non." Se referma Candice, cherchant des yeux le meilleur endroit pour lancer les hostilités.
— "Vraiment ?" Insista le mage elfe. "Il me semble pourtant d'une certaine importance."
— "Demande à l'orc du bosquet." Intervient Virgil. "Il sait ce qui a conduit à la destruction de cette partie des Martrippe.
— "Vous l'appelez souvent de cette façon." Remarqua Hugoi. "Est-ce un surnom ?"
— "Tu ne leur as vraiment rien dit, c'est étonnant." Lança le dhampire à Okar, attrapant le crâne de sa main droite pour le ramener à hauteur de son visage.
— "Je leur ai dit que je suis une légende." Evacua l'orc. "Ca ne les a pas passionnés."
— "Et pour ce gouffre ?" Rappela Lily.
— "Restez vivants." Conseilla le crâne. "Une chose à la fois."