Chapitre 30 : Le syndicat

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L'ombre des murailles est de Memausus abritait une place insalubre. Il était hasardeux de considérer l'endroit comme un lieu de rencontre. Ce n'était qu'un terrain vague grossièrement aménagé avec quelques rochers pour servir de bancs. Aux yeux d'Emil, même les pouilleux n'iraient pas discuter en un tel lieu.
Pourtant, c'est en suivant Hugoi et ses deux nouveaux camarades, Francesco et Lucio, que l'ingénieur s'était retrouvé ici. Emil s'était contenté de se présenter brièvement aux deux frères, et avait choisi de garder ses distances avec le trio de joyeux idiots. Il n'oubliait pas le but de leur mission, et souhaitait interagir le moins possible avec les membres du syndicat du Port massiglien.
Au moins, la température est raisonnable. Se contenta Emil. Malgré l'automne qui approchait, les températures autour de Memausus provoquaient des insolations si on n'y prêtait pas une attention suffisante. S'il oubliait les mauvaises herbes qui le piquaient à travers son pantalon, et les insectes qui le voyaient comme leur déjeuner, l'attente était acceptable.
L'ingénieur s'étonnait de la populace rassemblée sur le terrain. Il comptait déjà une centaine de personnes à vu d'œil, et le nombre continuait de grimper. L'appréhension saisit Emil devant les forces en présence. La guilde du Port massiglien, en tant que guilde dominante de Lonesam, employait des milliers de personnes. A l'échelle d'une ville comme Memausus, seconde plus grande cité du pays, cela représentait peut-être dix pour cents de leurs effectifs. Et le syndicat rassemblait tout le monde sous sa coupe.
L'importance de la mission confiée par Yassindo fit déglutir l'ingénieur. Il comprenait parfaitement pourquoi il avait si facilement effacé leur ardoise après leur cagade de Caromago. Ce qui se tramait ici pouvait faire chavirer la guilde.
S'il perd les revenus de toute une ville comme Memausus, ce sera autrement plus nocif pour les finances du Port massiglien que de payer quelques réparations à Caromago. Et la réputation d'être une guilde incapable de contrôler ses propres membres est inacceptable.

Emil revint à la scène sous ses yeux, le brouhaha de la foule gagnait en intensité. A une vingt mètres de lui, la foule s'écartait pour laisser passer un homme d'une cinquantaine d'années au crâne dégarni. Les membres de la guilde le regardait avec respect, et n'eurent aucun besoin de l'assister au moment de grimper sur un rocher dominant les lieux.
Yassindo avait raison, quelle moustache immonde. Remarqua Emil, alors que Sergio Fortani profitait des acclamations.
— "Mes chers camarades, mes collègues, mes amis !" Débuta Sergio d'une voix puissante, qui ramena le calme sur la place. "Une nouvelle fois aujourd'hui, nous avons déposés nos outils. Nous avons abandonné le calvaire. Mais nous ne fuyons pas. Nous protestons ! Nous nous battons !
"Nos conditions de travail sont intolérables. Nous usons nos corps sous la tâche, et pour quoi je vous le demande ? La petite monnaie. Je le sais. J'ai les preuves des montagnes d'or que rapporte notre travail à la guilde. Et nous ne sommes payés que douze pièces d'argent pour les plus chanceux d'entre nous, malgré la dureté de notre labeur ? Des dizaines de pièces d'or partent dans les coffres de Yassindo Vittori ! Nous ne travaillons pas pour qu'il s'accapare le fruit de nos efforts !"
Alors que la foule huait le nom du maître de guilde, Emil fit rapidement une estimation d'après le discours de Sergio. Douze pièces d'argent représentaient une sacrée somme pour un ouvrier. D'autant plus qu'ils ne travaillaient pas tous les jours, et jamais plus de dix heures quotidiennement.
L'ingénieur jugea que deux cents personnes écoutaient finalement le discours du syndicaliste. La guilde versait donc à Memausus dans les deux-mille-quatre-cents pièces d'argent en pur salaire, soit vingt-quatre pièces d'or, la somme que percevait les ouvriers.
Sergio ne faisait aucune mention des taxes prélevées par la guilde des comptoirs de guilde sur chaque salaire, le coût des transports des cargaisons, l'achat de leur matériel... Et les investissements faits par la guilde du Port massiglien dans de nombreux secteurs. Yassindo Vittori finance une partie des écoles de Lonesam, rénove lui-même ses routes commerciales, et permet à ses employés de bénéficier de logements gratuitement le temps qu'ils bâtissent leurs propres demeures.
Une fois la déduction faite, il ne restait plus grand chose pour Yassindo. Les ouvriers profitaient de sa générosité, l'ignoraient, et tentaient en prime de mordre sa main tendue. Une crasse insolence.
— "Nous demandons une juste rétribution pour les sacrifices que nous consentons, notre sueur, notre sang, ce que nous donnons à la guilde." Lança Sergio, devant les regards convaincus de son auditoire. "Notre salaire doit être doublé ! Pas moins ! Tant que cela ne sera pas acquis... Nous continuerons de cesser nos activités à la mi-journée."
— "Ca a assez duré !"
— "Ce voleur qui s'en met plein les poches devrait plonger dans la mine avec nous !"
— "Non, on devrait plutôt le pendre haut et court !"
— "Le syndicat doit gérer la guilde."
— "Par les ouvriers, pour les ouvriers !" Scanda Sergio, alors que les membres du Port massiglien à ses pieds multipliaient les injures à l'égard de leur maître.

L'aube d'une nouvelle èreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant