Je mets plusieurs longues minutes avant d'ouvrir les yeux, ou même avant de bouger. Ça reviendrait à avouer que je suis réveillé, reviendrait à devoir affronter la situation. Pourtant je le suis bel et bien, réveillé. Or je sais que qu'importe le temps que je passerai à jouer la comédie, il me faudra un jour faire face. Je ne peux décemment passer le reste de ma vie dans ces draps à feindre. C'est donc doucement que j'ouvre les yeux, comme si ce simple geste pouvait provoquer autant de bruit qu'un orchestre symphonique au sein même de la chambre. À peine ce geste accompli qu'une douleur fulgurante se manifeste dans mon crâne jusqu'à venir me taper contre les tempes. C'est plus fort que moi, je grogne de cette attaque de mon propre corps. Seulement dire que je ne m'y étais pas attendu serait mentir.
Je tourne ma tête doucement sur le côté, découvrant un lit vide pour seul compagnon. Un léger souffle m'échappe. Je ne sais pas si j'en suis plus soulagé ou peiné. Je me passe une main sur le visage, mon crâne toujours aussi douloureux alors que je me redresse, mon dos venant s'appuyer contre la tête de lit. C'est uniquement à cet instant que je remarque le verre d'eau posé sur la table de chevet, une aspirine juste à ses côtés. Au moins n'est-il pas parti comme un voleur. J'attrape le médicament et l'avale d'une traite, tentant de réfréner mes pensées quant à la signification de cette attention de sa part.
Il faut que je parte. Je n'aurais même jamais dû venir en premier lieu.
Mon cerveau est empli de questionnements sans fin, aussi est-ce ma seule certitude. Je pars donc à la recherche de mes habits, me retenant de m'insulter au rappel de la raison de ma nudité. C'est la première fois de ma vie que je prie pour pouvoir avoir un black-out, tout plutôt que de me rappeler de la soirée que je viens de passer. Une fois n'est pas coutume, je hais mon cerveau, celui-ci se faisant au contraire une joie de me rappeler dans les moindres détails chaque seconde écoulée depuis que j'ai toqué à cette fichue porte.
Alors que jusqu'ici je me suis activé du plus vite que je le pouvais, je marque ma première pause en arrivant devant le carton au pied de l'armoire. Je sens mes mains trembler et sais d'expérience que si je reste planté là, la crise de panique sera la prochaine à faire son apparition. C'est donc avec un regain d'énergie que j'ouvre l'armoire, attrapant l'ensemble de mes affaires en quelques minutes à peine. Je me rappelle encore le jour où je les ai moi-même disposés sur cette étagère, avec la certitude viscérale que le moment où je les y enlèverai ce serait dans l'unique but de préparer notre emménagement définitif en France. Notre. Un mot n'ayant plus raison d'être désormais, exception faite de l'amertume que nous partageons.
Mon carton est vite rempli, je n'ai pas la force de refaire un tour dans ses affaires pour être sûr de ne rien oublier. Le hissant à bout de bras je parviens à ouvrir la porte de la chambre pour m'en extraire, pouvoir enfin à nouveau respirer proprement. C'est du moins ce que je pensais que sortir me ferait, or je n'ai pas fait deux pas dans le couloir que ma respiration se bloque de nouveau. Mes yeux se posent sur le sol, un étau étrange mais tenace se resserrant autour de mon cœur. Et là je me rappelle d'un détail. Du bruit sourd dans le mur, suivit de l'impression d'entendre un objet tomber au sol. Le mur comporte bien les traces d'un coup violent, seul un poing fermé pouvant en être à l'origine. Pourtant mes yeux ne s'y attarde pas, complètement fixé sur le sol.
L'horloge.
C'est l'horloge qui est tombée. Celle-là même que Malo m'avait achetée suite à un de mes caprices. Celle-là même lui faisant me demander de ne jamais changer, de toujours rester fidèle à moi-même. Cette horloge reste liée à mon tout premier jour dans cet appartement, et aujourd'hui elle se retrouve au sol, le verre fissuré et l'aiguille figée.
Je crois que je serais resté plusieurs heures le regard fixé sur cette horloge, si des bruits en provenance du salon ne m'avaient pas forcé à me ressaisir. Je ne sais pas pour quelles raisons stupides je me suis imaginé que si Malo n'était pas dans le lit, c'est qu'il n'était pas là tout cours. Seulement je me retrouve pris au dépourvu, une nouvelle dose d'adrénaline se déversant dans mes veines en prenant conscience que je vais devoir l'affronter. Cette situation a beau se retrouver en toute dernière position sur la liste de mes envies, je ne peux décemment pas l'éviter. Mes envies importent peu pour tout dire. Si je suis ici c'est uniquement parce que j'ai merdé hier soir. Malo compte encore beaucoup trop pour moi pour lui infliger de partir sans un mot ni un regard.
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Romance« N'aimez jamais quelqu'un qui vous traite comme une personne ordinaire » ~ Oscar Wilde. Ordinaire. Au contraire, ce mot a toujours irrésistiblement attiré Rafael. Sa vie n'a jamais eu la prétention de pouvoir se revendiquer comme telle. Lui-même...