Nos Années Volées ▬ Tome ✯✯ ©

Sept

Toutes mes excuses pour le retard ! Avec les fêtes, ça a été un peu compliqué ^^. Je vous souhaite une très belle année 2020 ♥

Nous sommes restés une ou deux heures dans une des bibliothèques du palais. Nous avons discuté de nos livres préférés et cet aparté a été comme une bouffée d'air frais. Évidemment, la réalité a fini par surgir à nouveau sous la forme d'un appel téléphonique de Sutton à Toby. Il semblerait que le prince, mon frère, ait un rendez-vous en dehors de la demeure familiale. De ce que j'ai compris, il a reçu une dispense pour poursuivre ses cours à domicile. Au vu des événements, c'était le mieux à faire. Il n'aurait pas pu être « tranquille », même si j'estime qu'il ne l'est jamais vraiment à cause de son statut.

Je suis retournée dans ma chambre, escortée par Toby durant la moitié du chemin. Nous nous sommes quittés silencieusement : sans trop savoir pourquoi, cet appel m'a fait perdre l'usage de ma voix. Je n'ai même pas eu le cœur de lui jeter un dernier regard. Je n'ai plus le cœur à rien et, quand j'arrive dans ma chambre, je me laisse tomber sur le lit. Ma curiosité s'est éteinte et, les yeux posés sur l'ordinateur, je comprends que le reste de la journée risque d'être longue. Je redoute le moment du repas, celui où je suis censée sourire. Je ne sais pas ce que j'ai, je n'ai juste plus la force aujourd'hui. Ces trois semaines ont été particulièrement éprouvantes et le côté irréaliste des événements ne fait qu'accentuer ce sentiment. L'invraisemblance n'aide pas, parce qu'elle donne l'impression que rien n'est réel et que tout peut revenir « à la normale ». Encore faudrait-il que la normalité existe ou que je veuille même la retrouver, ce qui n'est pas le cas.

Je m'emmitoufle un peu plus dans la couette en entendant la grêle se mettre à taper sur les grandes vitres de la chambre. Mon corps se réchauffe. Mon cœur, lui, tente de garder sa froideur, sa distance. Je veux trouver le bouton off et ne plus rien ressentir. Mes forces s'amenuisent à mesure que je tente de garder le contrôle, que je tente de les enterrer. D'enterrer mes sentiments, en particulier la peur et la tristesse. De les enterrer eux, aussi, ceux qui ont détruit ma vie. Ceux qui avaient ma confiance, ceux que je prenais pour mes piliers.

La pluie glacée s'intensifie au moment où les larmes pointent le bout de leur nez. Au départ, je tente de les chasser, de les ravaler, de les faire disparaître de n'importe quelle manière possible. Au bout d'une minute ou deux, je laisse tomber et je sanglote bien malgré moi. Des souvenirs très divers de ces dernières années les accompagnent. Je me remémore des Noëls passés où des livres m'attendaient sous le sapin, des disputes, car je ne supportais pas leur autorité et la façon qu'ils avaient de me cloisonner du monde, l'éternelle plage de Normandie que j'espère ne jamais revoir, les séances de cuisine où je servais d'assistante à mon... à lui. Je me rends compte que c'est surtout de lui que je tiens. La musique, les films, mes quelques compétences en cuisine, ma gentillesse. J'ai toujours été plus proche de lui que d'elle. Maintenant que je sais tout, je comprends sa distance à mon égard. La sienne, à elle, et non à lui. Il reste un mystère pour moi. Si regret il y avait, n'était-ce pas suffisamment lourd pour me ramener aux miens ? Comment aurait-il pu vivre seize ans avec ce mensonge si ce dernier le hantait ? Comment peut-on élever un enfant que l'on a kidnappé ? Comment ?

Voilà des questions qui resteront sans réponse, car je n'aurais probablement plus jamais le courage de lui faire face. Je ne sais même pas où je vais trouver la force de sortir de ce lit et de me rendre au dîner ? Qu'importe qu'il y ait des crêpes ou le met le plus délicieux, je me sens dénuée de toute envie. C'est comme si un million de petits couteaux me perforaient de l'intérieur et faisaient sortir l'assurance, l'obstination et le courage de ces derniers jours. Je suis vidée, littéralement, de tout, hormis de la négativité et de ces souvenirs heureux qui prennent un tout autre sens désormais.