Huit

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Ca y'est. Je crois que j'ai perdu Aiden.

Il ne s'attendait sûrement pas à ce genre de demandes. Ils devaient tous espérer que je n'ai plus d'idées loufoques comme j'ai déjà pu avoir, quand je leur ai demandé de rencontrer mes parents tortionnaires dans leur cellule bien gardée. Ce n'était pas très intelligent, même si ça m'a fait du bien, en partie. Ils ont dû s'imaginer que je resterai sagement dans ce château à profiter des fêtes... mais comment le pourrais-je ?

Je ne peux pas blâmer le moment de silence qui marque l'hésitation de monsieur Sutton, moi-même j'aurais réagi de la sorte. Plus les secondes s'écoulent, plus j'ai peur que le non l'emporte, ce qui serait logique dans un sens. Maintenant que la nouvelle de ma présence a été révélée, je vais avoir moins de chance de passer inaperçue à l'extérieur des murs de cette prison dorée. Je ressemble à ma mère après tout. Une mère qui doit avoir sa tête sur les timbres, les billets ou des pièces de monnaie. Je serai facilement identifiable par les habitants de ce pays, c'est grâce à l'un d'entre eux que j'ai été retrouvée après tout.

— Si c'est non, dites-le-moi tout de suite plutôt que de me faire espérer, s'il vous plaît...

— Je ne peux pas dire non, mais je ne peux pas non plus dire oui. Je dois en parler à vos parents avant. C'est eux qui doivent me dire ce que je suis en droit de faire pour vous.

— Oui, je m'en doutais, mais... est-ce que ce serait faisable ? S'ils donnent leur consentement, pourriez-vous accéder à leur demande ?

— Je pense que oui... qu'il y a toujours une solution à la situation.

Cela ne l'enchante pas et je ne peux pas lui en vouloir. Ce que je demande, c'est lui créer des problèmes supplémentaires. C'est me mettre en danger, en quelque sorte, et ça ne peut qu'inquiéter le chef de la sécurité.

— Je sais que ce que je vous demande est... compliqué et que vous vous en passeriez bien. Je ne vous facilite pas la vie, hein ?

— Si je peux parler en toute honnêteté, mademoiselle, je crois qu'en termes de vie compliquée, c'est vous qui gagnez pour le moment. Devrais-je blâmer une jeune fille qui vient de traverser plus de deux semaines éprouvantes et qui a vu sa vie éclater en mille morceaux ? Je dois bien protéger votre corps, mais si votre esprit décide de ne plus suivre, j'aurais de toute manière échoué.

— Vous n'êtes pas mon psychologue, vous savez ?

— C'est vrai, mais ai-je besoin de ce diplôme pour m'inquiéter à votre sujet ?

— Non... Vous avez juste besoin d'un cœur. Et, si je peux me permettre monsieur Sutton, vous avez un cœur énorme.

— Merci, mademoiselle. Vous devriez aller manger quelque chose maintenant, je parlerai à la Reine et au Roi demain matin. Est-ce que cela vous convient ?

— Oui, merci beaucoup.

Je ne sais pas quelle heure il est, mais je crois que l'ai intercepté juste avant qu'il ne rentre chez lui pour se reposer. Je m'éclipse donc à la vitesse de la lumière. Après la bombe que je lui ai balancée, il aura besoin de toutes ses forces pour la journée de demain. Moi aussi d'ailleurs et ça passe en premier lieu par mon estomac. Quand ce dernier sera rempli, je m'endormirai comme si on m'avait assommée.

Il y a des moments où j'aimerais bien que l'on m'assomme et que je me réveille avec une perte totale de mémoire. Ce serait peut-être plus facile que de se souvenir d'une vie que l'on n'aurait pas dû vivre. De se remémorer seize longues années qui n'ont eu aucun sens parce qu'on me les a volés. J'oublierais leur visage et le traumatisme causé par leur acte. J'oublierai que je suis une victime, choisie à cause de son titre et de ses véritables parents. J'oublierai tout, car de toute manière je ne peux plus m'accrocher à rien de ce que j'ai connu.

Nos Années Volées ▬ Tome ✯✯ ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant