Nos Années Volées ▬ Tome ✯✯ ©

Vingt-et-un

J'ai eu plus de mal à apprécier la soirée de la Saint-Sylvestre que celle de Noël. Je ne sais pas très bien pourquoi, peut-être que deux fêtes familiales en l'espace d'une semaine étaient trop à supporter. Je me suis sentie très mal à l'aise lorsque minuit est arrivé et que tout le monde a commencé à se serrer dans les bras, à se souhaiter la santé et bonheur. J'ai peiné à aligner plus de trois mots à chacun des membres de la famille après que l'heure fatidique soit passée, je ne suis pas restée bien longtemps, prétextant une fatigue. Ce n'était pas vraiment un mensonge, je l'étais vraiment, juste pas physiquement...

Le fait que le dîner ait été bien différent a dû y jouer. Cette fois, pas de petits fours, de plats ou d'innombrables petits desserts. Non, là j'ai vraiment eu droit à un dîner en plusieurs services, avec une tonne de couverts sur la table. « Commence vers ceux à l'extérieur et revient à l'intérieur » m'a conseillé l'oncle Ernest qui a été mon voisin de table tout au long de la soirée.

Jeudi matin, soit le premier jour de la nouvelle année, j'ai eu droit à un résumé de ce qui s'est passé après que je sois partie, de la bouche de Lilianna. Apparemment, il est de coutume pour la famille royale de descendre aux cuisines et de souhaiter la bonne année à chacun des employés individuellement. Je me suis sentie un peu honteuse l'espace d'un instant, mais Lilianna m'a rappelé que j'ignorais tout des traditions du palais ou de cette famille. Personne ne m'en a touché un mot, je ne pouvais donc pas savoir...

Presque la moitié des convives sont partis pendant la nuit. D'autres, dont les résidences sont plus lointaines, sont restés comme oncle Ernest, tante Victoria et tante Sybil ainsi que leurs familles respectives. Tante Victoria, son mari et ses enfants ont pris congé juste après le petit-déjeuner. À la table, il ne reste plus que le couple royal, Lilianna, Ernest, sa fille Ava et Nathaniel, le fils aîné de ma tante Sybil. De ce que j'ai compris, c'est le plus âgé de notre génération avec ses dix-neuf ans. Je n'ai pas encore beaucoup l'occasion de parler avec mes cousins et cousines. La plupart du temps, je suis accaparée par les tantes, oncles et grands-parents. Il est juste assis à côté de moi, l'air fatigué et le ventre repu. C'est peut-être une occasion de...

— Ma mère m'a dit que tu voulais reprendre les cours dès la rentrée, ce lundi ? m'adresse-t-il avec un sourire. C'est courageux.

— Euh... Oui, merci.

— Très honnêtement, je ne suis pas sûr que j'aurais eu assez de force pour affronter le peuple débile que forment les adolescents du lycée.

Bon, moi qui voulais faire plus amples connaissances avec lui, il vient de refroidir mes intentions et mes envies. C'était pourtant bien parti lorsqu'il m'avait parlé de courage. Mais là, en me rappelant que les adolescents peuvent être stupides et cruels, il a tout cassé.

— Mais je suis certain que tu vas très bien t'en sortir, ajoute-t-il d'un ton détaché presque moqueur. Si tu es arrivée jusqu'ici sans péter un câble, ce n'est pas quelques adolescents qui vont t'atteindre. Oh et si tu as besoin de quelques conseils, n'hésite pas m'appeler. Je suis allé dans le même lycée, je connais l'atmosphère qui y règne ainsi que les professeurs.

— C'est gentil, je penserai à toi si j'ai besoin d'un coup de main.

« Ou pas » termine une petite voix dans ma tête.

Il y a quelque chose qui ne me plaît pas chez Nathaniel, il ne me reste plus qu'à découvrir ce que c'est...

J'ai disparu le reste de l'après-midi avant d'avoir dit au revoir aux membres de la famille qui étaient restés au palais cette nuit. Je ne suis réapparue que pour le dîner du soir, où nous ne sommes plus que cinq. Bizarrement, je préfère quand nous sommes vingt, presque trente. En étant très entourée, j'oublie que Philippe me déteste ou, tout du moins, qu'il ne m'apprécie pas beaucoup. Le voir ainsi face à moi, silencieux ou marmonnant quelques syllabes à chaque fois qu'on lui pose une question, c'est une situation qui me met très mal à l'aise. Qui nous met très mal à l'aise à en croire les regards désespérés que se lancent nos parents.