— Il ne se passe absolument rien, Madeleine, dit-il ce dernier mot avec fermeté.
— Je ne suis pas idiote, Philippe. Je vous ai très bien entendu crier et j'ai également très bien vu ce que tu étais sur le point de faire. T'as intérêt à tout de suite dégager si tu ne veux pas que je te foute une raclée.
Philippe lâche un petit rire bien sarcastique avant de s'éloigner de moi et d'avancer vers l'escalier. En passant près de Madaleine, il s'arrête un instant et la toise du regard, puis il disparaît, à mon plus grand soulagement. Durant ce laps de temps entre l'apparition de Madeleine et le départ de Philippe, c'est comme si j'avais arrêté de respirer. Je me suis mise en mode pause, mais maintenant que le danger a été écarté, je m'écroule. Je suis accablée par toute cette haine et ce ressentiment. Je suis épuisée par cette situation, par tous les obstacles que j'ai réussi à franchir ces derniers mois. Que je pensais avoir réussi à franchir. Mais avec Philippe, avec ses mots, tout mon mal-être revient à la surface. Il fait tout ressortir. Les mauvais souvenirs, les traumatismes, les émotions négatives.
Madeleine est à mes côtés, l'une de ses mains sur mon dos, l'autre écartant les mèches de cheveux qui sont en train de se coller à mon visage à cause de mes larmes. C'est comme ça que je me rends compte que je suis en train de pleurer. À grosses larmes et avec une respiration saccadée.
— Je vais chercher tes parents, m'annonce-t-elle.
Sa voix est pleine de fureur, mais aussi de tristesse. Comme tout le monde, elle se sent impuissante face à la tempête qu'est son cousin.
J'attrape sa main avant qu'elle n'ait pu s'éloigner. Je lève ensuite ma tête, capte son regard et lui fais non de la tête. Madeleine fronce des sourcils avant d'extirper sa main de la mienne.
— Je m'en fous, Dela. J'en ai plus que marre de la façon dont il te traite. Marre que tu évites le plus possible d'en parler à tes parents. Si tu ne veux pas le faire, très bien, mais moi je ne vais pas m'en priver !
Avant de retrouver mon souffle pour l'arrêter, Maddie a déjà disparu. Seule Duchesse est toujours là, assise calmement à mes côtés. J'aimerais pouvoir l'être aussi, mais j'angoisse à l'idée de devoir discuter avec mes parents et qu'ils aillent ensuite voir leur fils. J'aimerais que tout ça disparaisse... Mais comme je sais que ça n'arrivera pas, je me redresse avec une idée en tête : de trouver un coin où je puisse rester seule, au moins l'espace de quelques minutes, avant de devoir réaffronter la réalité. Le palais est assez grand pour jouer une partie de cache-cache interminable, mais j'étouffe ici alors je prends la direction du jardin où je comptais de toute façon me rendre. J'accélère le pas jusqu'à me mettre à courir. Je passe devant deux ou trois employés de maison avant de me retrouver à l'extérieur. Duchesse me suit à la trace, sans pour autant me distancer : elle le pourrait pourtant, il ne fait aucun doute qu'elle est plus rapide que moi à la course.
Nous descendons les quelques escaliers avant de fouler la pelouse fraîchement coupée. Le « jardin » fait plusieurs centaines de mètres de longueur et tout autant en largeur. On a de quoi se promener toute la journée sans se sentir à l'étroit ou d'avoir l'impression de tourner en rond. Il y a également une bonne centaine d'arbres où l'on peut se poser. Où l'on peut se cacher. Je ne veux pas les effrayer, mais je n'ai pas non plus envie qu'on me retrouve trop vite. Je marche donc plusieurs minutes avant d'arriver près d'un arbre au tronc très épais et m'y adosse, le palais dans mon dos. Duchesse vient s'asseoir à mes côtés avant de déposer son museau sur mes jambes étalées.
Et c'est là que je craque... à nouveau. Je trouve ça si injuste et si triste. Moi qui aie rêvé toute ma vie d'avoir une fratrie, je me retrouve avec un frère qui me déteste, qui m'exècre. Mon existence a été plus que chamboulée, j'aimerais bien, l'espace d'une semaine, qu'il n'y ait plus aucun problème, aucune tension, aucun retour en arrière. Que je puisse goûter à ce quotidien comme si je l'avais toujours vécu, sans ressentir que je fais tache dans le décor ou que je suis de trop. J'aimerais tant me sentir à ma place. Croire que je suis à la hauteur. Celle d'être une fille, une sœur, une petite-fille, une élève, une princesse. Je ne veux pas forcément exceller et je ne suis pas naïve en pensant que l'on peut être parfait. Mais pour une fois, je veux sentir que je suis bien là où je suis.
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Nos Années Volées ▬ Tome ✯✯ ©
Novela JuvenilLe monde entier est désormais au courant que la Princesse Adélaïde a été retrouvée, seize ans après avoir été enlevée. Encore sous le choc de ces dernières semaines, la jeune fille va devoir passer ses premières fêtes de fin d'années avec sa véritab...