Quatorze

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La première chose que j'ai cherchée en posant un pied dans la maison, c'est la cuisine. Je l'ai vite trouvée, bien qu'il m'ait fallu un moment pour oser pénétrer un peu plus dans cet espace, celui de mes grands-parents paternels. Je suis chez eux et c'est une pensée étrange. Je n'avais jamais eu de grands-parents et encore moins d'autres maisons dans lesquelles me réfugier après une dispute avec mes parents. Pas de soirées de jeux de société ni du cliché de la mamie gâteau. Et le peu de temps qu'il m'ait été accordé avec la mère de mon père ne laisse pas présager une mamie câline non plus. Son mari, mon grand-père, m'a en revanche laissé une plus forte impression. Une bonne impression, il va s'en dire.

C'est en pensant à lui, avec une tendresse naissante, que j'ouvre la porte du frigo. Un frigo rempli à ras bord et qui me met de bonne humeur en un instant. La fille du village en est certainement à l'œuvre, car je vois mal mes grands-parents faire toute la route depuis la capitale pour faire les courses. J'ai beau avoir dormi durant une grande partie du chemin, je sais que, grâce à mon téléphone, que cela prend au moins trois heures.

Il est presque quatorze heures et j'ai un petit creux. Je me saisis d'un yaourt à la fraise avant d'en proposer un aux garçons, qui déclinent tous deux.

— Ne me dites pas que vous refusez de manger en ma présence ? m'exclamé-je en fronçant les sourcils.

— Je n'ai pas faim, mademoiselle, répond Thomas.

— Tu ne réponds pas vraiment à ma question... Rassurez-moi, vous allez manger avec moi au repas du soir ? Vous ne comptez tout de même pas manger de votre côté ?

Toby lance un regard interrogateur à son coéquipier. C'est aussi, en quelque sorte, le chef de la mission. Il est le plus vieux et le plus ancien des deux hommes. Mon « ami » ne veut pas prendre le risque de se faire réprimander lorsque nous rentrerons au palais.

— Si vous le désirez, nous mangerons avec vous, finit-il par accepter.

— Je te remercie, Thomas !

Mon sourire est sincère, mon ton un peu moins. Si les relations humaines sont quelques fois compliquées, c'est d'autant plus dur lorsque ses interlocuteurs ont reçu des indications contraires à ses envies. Enfin, il y a heureusement Toby et son cœur dont les désirs ne rejoignent pas les ordres donnés.

Je m'installe à la table haute de la cuisine et retire le couvercle du pot avant d'y plonger ma cuillère et de prendre une première bouchée. Mon regard se pose de nouveau devant mes deux compagnons.

— Sérieux, vous allez me regarder manger ? C'est un peu bizarre et ça me met mal à l'aise. Si au moins vous vouliez bien parler, la situation paraitrait moins bizarre.

Je tente du mieux que je le peux d'instaurer un climat chaleureux ou amusant. Ma tentative est un parfait échec auprès de Thomas qui décide d'aller installer nos affaires dans les chambres respectives. Tout n'est pas perdu lorsqu'il demande à Toby de rester avec moi.

— Bon, au moins, toi, tu veux bien me parler. Je n'ai pas tout perdu. Maintenant qu'il n'est plus là, t'es certain de ne pas vouloir un yaourt.

Bien malgré lui, Toby esquisse un sourire en coin avant de venir s'installer face à moi.

— Je te remercie, mais je n'ai vraiment pas faim. J'ai toujours l'estomac noué après un long trajet en voiture. Mais compte sur moi pour le repas du soir, je serai là. Enfin, du mieux que je le peux en la présence de mon coéquipier.

— Est-ce qu'il agit de la même manière avec Philippe ?

— Tu parles du vouvoiement ?

— Entre autres choses, oui. Le vouvoiement, mais aussi le ton utilisé. Vous n'avez jamais de conversations moins sérieuses avec lui ? Vous ne blaguez jamais ?

Nos Années Volées ▬ Tome ✯✯ ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant