Nous sommes rentrées à deux ou trois heures du matin et je peine à sortir de mon lit. Je peine tellement que je saute le petit-déjeuner. C'est ce que j'ai remarqué lorsque j'ai eu le courage de jeter un coup d'œil au réveil et que j'ai vu qu'il indiquait onze heures. C'est dire à quel point je suis fatiguée : cela ne m'est jamais arrivé auparavant, pas une seule fois. Surtout pas depuis que j'ai découvert les crêpes de madame Millet ou sa cuisine en générale. Mais là, je suis bien incapable de m'extirper du lit. Mes yeux brûlent, mes pieds me lancent et ma tête est à deux doigts d'exploser. C'était la première fois que j'étais invitée à une fête, j'ignorais donc les possibles conséquences.
Les yeux toujours fermés, je me décide à bouger et étire mes deux bras. L'un d'eux cogne dans quelque chose... enfin, dans quelqu'un. Une personne qui ronchonne avant de me donner également un coup en se retournant. Maddie.
Je ne suis suffisamment pas réveillée si j'ai oublié que ma cousine est restée dormir, d'autant que c'était prévu de longues dates. Ah si je pouvais, je resterais dans mon lit toute la journée à faire des microsiestes, me retourner, me rendormir, rester bien au chaud sous la couette, peut-être me mettre un peu de musique dans les oreilles. Oublier, l'espace d'un après-midi, où je suis. Qui je suis. Ce que j'ai manqué et ce que je ne pourrais jamais récupérer. Mais aussi ce que je pourrais reprendre.
Après avoir dansé pendant plus de deux heures, Drew et moi nous nous sommes installés sur une des tables inoccupées, sa famille s'étant assise à celle où nous avons été durant le dîner. Et nous avons parlé. Beaucoup. Longtemps. Pendant pratiquement une demi-heure. C'est surtout Drew qui a parlé, avec éloquence et conviction. Il doit tenir ça de son père, c'est une qualité indispensable pour un Premier ministre de savoir se faire entendre. D'être persuasif. Et Drew l'a été. Il n'a pas semé le doute en moi, il l'a juste fait ressortir et mis plus en lumière. Plus que jamais.
Pendant cette demi-heure d'éloges, j'ai eu la sensation que je pourrais être à la hauteur. Que cette place dans l'ordre de succession, c'était la mienne. Mon ami n'a pas manqué d'arguments convaincants, s'appuyant sur sa connaissance de ma personne, mais aussi sur la constitution. Légalement, ça me revient de droit. Ce sont ses mots et il m'a désespérément demandé de ne pas y renoncer. Il avait l'air profondément touché par ma situation, plus que d'habitude. J'imagine que la fatigue de la journée et de la soirée avait dû lui faire tomber toutes ses barrières et inhibition, parce que c'était la première fois que je le voyais autant investi et honnête avec moi, surtout sur un sujet que j'évite le plus possible.
J'ai tous ses mots dans ma tête. Ses compliments à mon égard, ses critiques envers Phillippe, ses mots sur le droit, sur ce qui me revient, sur toutes ces questions à laquelle mon esprit est en train d'être envahi. La plus dominante d'entre toutes est la suivante : en ai-je seulement envie ? Est-ce que je veux être reine ? Je ne connaissais rien de cet univers il y a six mois et je ne me sens pas encore capable de répondre cette question alors que je commence à peine à être une princesse. Cependant, je sais que je ne pourrais pas réfléchir pendant plusieurs années. Mes parents, le gouvernement mais aussi le peuple aimerait tout avoir une réponse.
Je râle intérieurement que cette bulle de bien-être ait éclaté il y a quelques minutes. J'étais si bien à l'intérieur, sans toutes ces questions et ces problématiques que je n'arrive pas à résoudre. Alors, je m'extirpe très lentement du lit avant d'enfiler les premiers vêtements que j'arrive à attraper sans trop faire grincer la porte de la penderie. Je file ensuite dans la salle de bain pour m'apprêter avant de sortir de ma chambre, le pas rapide. J'accélère au fur et à mesure, comme si je pouvais échapper à mes tourments. Mon regard se perd un peu entre les différents couloirs, mais je finis par atterrir là où je le voulais : dans les cuisines. Une partie de moi est assez surprise d'avoir réussi à trouver le chemin sans détour.
VOUS LISEZ
Nos Années Volées ▬ Tome ✯✯ ©
Novela JuvenilLe monde entier est désormais au courant que la Princesse Adélaïde a été retrouvée, seize ans après avoir été enlevée. Encore sous le choc de ces dernières semaines, la jeune fille va devoir passer ses premières fêtes de fin d'années avec sa véritab...