Dix

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Je petit-déjeune. Je déjeune. Et puis, j'attends. Parce que je n'ai que ça à faire, dans une vie mise en suspens, sans but. Presque sans envie.

Je patiente et regarde l'heure défiler sur l'écran de mon ordinateur, impatiente et anxieuse à l'idée de visionner la conférence de presse. J'ai décliné l'invitation de mes parents à la regarder avec eux. Si je dois faire une nouvelle crise d'angoisse, autant être seule. Seule avec mon petit sac en papier à proximité.

Le plateau de télévision de la dernière fois s'agite sur l'écran. J'ai mis en sourdine la vidéo, peu encline à entendre à nouveau les questions et suppositions des présentateurs, journalistes ou encore historiens invités dans l'émission. Seuls les sous-titres en bas de l'écran me mettent la puce à l'oreille quant aux sujets qui y sont abordés. De la guerre, un violent incendie en Australie et encore de la guerre. Je suis soulagée de voir que pendant plus d'une demi-heure, le mot « princesse » ou les termes « famille royale » n'apparaissent nulle part.

Évidemment, comme je m'y attendais, je reviens sur le devant de la scène quelques minutes avant les coups de quinze heures, comme pour introduire le sujet aux téléspectateurs curieux. Je le suis moi-même, sans trop comprendre pourquoi. Après tout, je n'ai rien grand-chose à apprendre de l'intervention du Premier ministre. Ce n'est d'ailleurs pas pour ses réponses que je suis ici. Non, c'est plutôt pour les questions qui lui seront posées. Ma curiosité s'oriente plus sur ce qui interroge les gens, sur ce qu'ils se demandent face à toute cette histoire rocambolesque et impossible à expliquer.

Lorsque « 58 » apparait, je daigne enfin rétablir le son, plus ou moins prête à revivre un exercice difficile : tout le monde se rappelle ma réaction la dernière fois que j'ai vu le Premier ministre. Le pauvre, j'espère que ce n'est pas à cause de lui que ça a été déclenché, il s'est montré si adorable à mon égard lors du dîner.

Une fois « 59 » passée, une pointe d'anxiété s'immisce dans mon cœur, comme pour me rappeler que je peux chuter à tout moment. Je me concentre sur ma respiration, sans savoir si cela aurait un quelconque effet sur une potentielle crise. Ma respiration se bloque lorsque le plateau télé disparaît pour laisser place à une estrade où un pupitre, encore vide, se tient. L'espace désert est vite animé par l'arrivée du Premier ministre, souriant et sérieux.

— Mesdames et messieurs les journalistes, je suis tout à vous, démarre-t-il la conférence d'un ton détendu. Un ordre vous a été attribué, il me semble, alors pas de dispute, d'accord ? Qui commence ?

La caméra dézoome, montrant alors la foule de journalistes rassemblait juste devant l'estrade : une bonne quarantaine, au bas mot. L'un d'eux lève la main, attirant instantanément le regard du Premier ministre qui, d'un hochement de la tête, lui exhorte à débuter la session.

— Comment se porte Son Altesse Royale, monsieur ?

— La Princesse Adélaïde se porte bien. Elle est évidemment dans un état de choc et d'adaptation, ce qui est logique dans ce genre de situations.

— Confirmez-vous que la Princesse n'a subi aucune maltraitance physique ? questionne un autre journaliste

— Je confirme. La Princesse ne souffre d'aucune pathologie qui serait liée à une maltraitance physique. Elle est en parfaite santé. Question suivante ?

— Est-ce que la rumeur selon laquelle la princesse a vécu seize ans avec ses ravisseurs sans savoir qui elle était réellement est vraie ? Est-ce que ses ravisseurs se sont fait passer pour ses parents durant tout ce temps ?

Le Premier ministre hésite. LE sujet sensible de cette conférence est vite arrivé sur le tapis, mais ça ne m'étonne guère. C'est leur métier après tout, bien que certains ont sûrement plus de tacts que d'autres, comme pour chaque humain.

Nos Années Volées ▬ Tome ✯✯ ©Où les histoires vivent. Découvrez maintenant