— Je pars, Père.
Il recracha le café qui lui brûlait la gorge. Il posa sa tasse avec violence sur cette table bancale qui leur servait à se nourrir modestement. Le liquide était noir, aussi noir que la nuit, que le charbon, que les longs cheveux de sa fille. Il leva son regard furieux vers elle, ils partageaient les mêmes yeux : un regard en amande d'un marron parfait. Elle resta stoïque et inébranlable, même le vent qui rugissait dehors pendant cet horrible automne ne l'aurait pas fait vaciller. Il cria, d'une voix brutale :
— Qu'est-ce que tu racontes ? Arrête de rêvasser deux minutes !
— Je prends le premier train pour Valiroma demain matin, à l'aube, poursuivit-elle avec sang-froid.
Elle aperçut alors ses deux sœurs – plus jeunes qu'elle – dans l'entrebâillement de la porte grinçante qui menait à leur chambre, qui observaient la scène avec des yeux écarquillés par la stupéfaction. La plus grande des deux – Noémie – savait le plan de son aînée depuis le début, mais Émilie n'était au courant de rien. Noémie lui adressa un léger sourire, qu'elle s'abstint à rendre. Leur père écrasa bruyamment son poing contre la table, tout en se levant de sa chaise en bois.
— Laureline ! Tu as perdu la tête ? Nous n'avons pas les moyens pour te payer un tel voyage ! Et dans quel but, de toute manière ?
— J'ai de quoi me payer un tel voyage, rectifia-t-elle.
— Comment ?!
— Tous les soirs, je faisais le mur et travaillais à la taverne.
— Je ne veux pas savoir ce que tu faisais pour gagner cet argent !
— Je servais à boire et j'aidais les videurs à se débarrasser des pochtrons les plus tenaces, termina Laureline sans se soucier de la réflexion de son père.
Il tua un ricanement amer. Dehors, le vent hurlait sur le taudis qui leur servait de foyer, perdu dans les champs que le Père Crowed et ses filles se tuaient à cultiver et à bichonner dans l'espoir d'avoir du blé pour survivre à l'hiver. Cette année, les récoltes n'avaient pas été à la hauteur de leurs espérances, pour ne pas dire catastrophiques. L'hiver dernier avait été infernal, et le peu de blé qui était parvenu à pousser pendant le printemps avait succombé à l'été caniculaire de cette année, dans sa majeure partie. Les prochains mois qui les attendaient allaient laisser de profondes cicatrices, Laureline en était convaincue.
Partir voulait dire avoir une bouche en moins à nourrir, certes, mais ce n'était pas le motif principal d'une telle décision. Cette idée maturait depuis bien longtemps dans sa tête, entre quelques rêves brisés et espoirs vains, et depuis le jour de ses dix-sept ans, elle avait décrété qu'elle avait un an pour économiser, se renforcer l'esprit et préparer son départ. Elle avait fêté ses dix-huit ans hier.
À son âge, Laureline aurait dû penser à son futur mariage, se demander s'il était plus intelligent de marier le fils du forgeron de Belatelzia – Jean, un gringalet qui la dépassait à peine en taille, qui avait sa force dans son esprit et non dans ses bras – ou encore le fils de Frank, l'apothicaire du village, dont elle ignorait complètement le prénom. Non, Laureline, elle, n'avait pas envie de se prendre la tête pour une union arrangée qui lui serait plus un fardeau qu'autre chose. Laureline, elle, désirait uniquement partir de ce village miteux.
— Et qu'est-ce que tu comptes faire, au cœur de la capitale du pays ? cracha son père, dans un grognement, de nouveau assis sur sa chaise. Espérer faire fortune ? Tenter de t'infiltrer dans une école prestigieuse ? J'aurais voulu, Laureline. Nous avons eu cette conversation maintes et maintes fois, j'aurais voulu vous inscrire, toi et tes sœurs, dans une école d'exception, pardi ! Mais...
VOUS LISEZ
Laureline et le Nouveau Colisée
FantasyPour aider son père et ses plus jeunes sœurs, Laureline n'hésite pas à tout abandonner pour rejoindre la capitale, Valiroma, pour y faire fortune dans des combats féroces et périlleux, mélangeant humains et Horribiles, des êtres dotés de pouvoirs dé...