4 : Inquiétude

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Je n'ai rien écouté de l'intervention qui a en réalité duré une heure et quart – et pas « une vingtaine de minutes ». Tu commences bien l'année, Justine. Tant pis, si je reçois de l'acide acétique dans l'œil je ne saurai pas comment le rincer et je deviendrai aveugle. Mince.

Une fois autorisés, tout le monde s'est précipité hors de la salle dans un vacarme assourdissant. J'avais l'impression que seules Naomie et moi nous inquiétions pour Adam. On a aperçu Hervé discuter avec Carole.

- Viens, m'a dit Naomie en me tirant par le bras. Excusez-moi d'interrompre votre discussion qui doit être, sans l'ombre d'un doute, vraiment passionnante, mais nous cherchons notre camarade de classe...

- Ne vous en faites pas, mesdemoiselles, votre petit copain va revenir.

- Mais...

- C'est un dur à cuire le bonhomme ! Il ne va pas se laisser abattre comme ça, croyez-moi.

On s'est regardées, Naomie et moi, avant de voir que les deux adultes se regardaient aussi mais avec un « regard d'adultes » – vous savez, un de ces regards lourds de sous-entendus qu'on utilise quand on veut cacher quelque chose à des enfants. Sauf que nous, on n'était pas des enfants. On avait seize ans et on était assez intelligentes pour comprendre que ce regard voulait dire pas mal de choses.

Sentant la honte me gagner, j'ai décidé de m'éclipser.

- Merci. Allez, on y va, ai-je ordonné à l'intention de Naomie.

Quand on a rejoint notre classe dans le couloir, Gabriel s'est jeté sur nous.

- Bah alors, vous étiez où ?

- On a un peu trainé, a répondu Naomie.

- Tu m'as fait peur, j'ai cru que l'autre pédophile vous avait embarquées avec lui !

- Qu'est-ce que tu racontes ? a-t-elle demandé en souriant.

- Moi je le trouve plutôt marrant, ai-je tenté.

- Marrant, ouais, si on aime le style pervers. Y'a quand même plus sexy, comme gars ! a renchéri Gabriel en mettant ses pectoraux en valeur, ce qui a fait rire Naomie.

Hervé est enfin sorti de la salle.

- Votre guide préféré est de retour, les loustics ! Lets's go to l'infirmerie !

On a entendu plusieurs personnes pousser des soupirs, dont trois particulièrement fort. Je vous laisse deviner lesquelles ?

Gabriel a fait le trajet avec nous. Enfin, je devrais plutôt dire que j'ai fait le trajet avec eux. Je me sentais à l'écart, je n'ai pris la parole que rarement, je ne me voyais pas interrompre leur discussion avec des commentaires qui auraient sûrement été déplacés. Comme d'habitude. Alors je me suis tue, et j'ai marché.

Après avoir traversé un couloir sombre qui sentait le renfermé, Hervé nous a annoncé avec fierté :

- Et voilà l'infirmerie ! C'est là que vous pourrez prétendre avoir une migraine pour louper le cours d'espagnol car vous aviez oublié qu'il y avait des exercices à faire, c'est aussi là où, mesdemoiselles, vous prétexterez des règles douloureuses afin de ne pas aller en cours de gym, mais surtout, c'est ici que vous pourrez demander des conseils sur... vous savez...

Il montra du doigt une affiche collée sur une porte représentant un préservatif qui s'étalait de la crème solaire sous un parasol en disant « Cet été, protection intégrale ! » Le geste d'Hervé était accompagné d'un sourire flippant et d'un haussement de sourcils.

- C'est hyper gênant, a dit Cloé, et sur le coup j'étais d'accord avec elle.

Naomie et Gabriel étaient les seuls que ce petit jeu semblait amuser, à les entendre pouffer comme des gamins. J'ai hésité à sortir mon briquet pour leur tenir la chandelle. C'est le jour de la rentrée. Elle va choper le jour de la rentrée.

- Comme vous l'aurez compris, l'infirmerie se trouve derrière cette porte. Celle d'à côté, c'est celle de l'assistante sociale. Cette personne est là pour vous écouter si vous avez des problèmes, ici ou chez vous, et que vous souhaitez en parler. Sa porte est toujours ouverte. On va lui faire un petit coucou ? a proposé Hervé en posant la main sur la poignée.

Alors que la majeure partie de la classe était restée au niveau de l'infirmerie pour observer les affiches diverses – tournant bien sûr toujours autour du même thème, je suivais notre guide de près. Il a alors commencé à rentrer dans la pièce, mais son sourire est immédiatement retombé. D'un geste brusque, il a refermé la porte. Mais pas assez rapidement, visiblement, puisque j'ai eu le temps d'apercevoir un sweat gris et des bouclettes brunes déjà familières à mes yeux.


𝐉𝐄 𝐍'𝐀𝐈𝐌𝐄𝐑𝐀𝐈 𝐏𝐋𝐔𝐒 𝐉𝐀𝐌𝐀𝐈𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant