10 : Pas du même monde

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J'ai passé une heure à attendre impatiemment que la sonnerie annonce la fin de la journée. Je n'avais qu'une envie : composer le numéro écrit sur le papier chiffonné dans ma poche et appeler Elias. Quand le prof nous a libérés, je suis sortie de la classe presque en courant.

- Allo ? a dit une voix grave mais peu assurée, à l'autre bout du fil.

- Dieu merci, t'es en vie, ai-je déclaré en poussant un soupir de soulagement.

J'entendais sa respiration saccadée.

- Elias, il va falloir que tu m'expliques ce qu'il s'est passé.

- Rejoins-moi au garage à vélos, a-t-il dit quelques secondes plus tard pour seule réponse.

J'ai raccroché et pressé le pas, le garage à vélo se trouvait à l'opposé du bâtiment où j'étais.

- Eh, Justine ! cria Naomie.

Je me suis retournée.

- A demain ! lui ai-je crié à mon tour.

Elle a fait volte-face et s'est éloignée au bras de son chevalier. Ces deux-là, alors. Après avoir descendu les trois étages du bâtiment de sciences et contourné celui de lettres, je suis arrivée au niveau du garage à vélos un peu essoufflée. Il était là, appuyé contre le mur, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone. Quand il a entendu le bruit de mes pas se rapprocher de lui, il a levé la tête. Il a rangé son téléphone dans sa poche. Son visage n'était plus couvert de sang mais ses joues étaient encore rouges et ses lèvres gonflées.

- Mais qu'est-ce que t'as fait...

Il s'est avancé vers moi.

- Justine, il faut que tu saches... Je ne suis pas le genre de mec qui se bat pour tout et n'importe quoi, ça me ressemble pas de faire ça.

Je suis restée silencieuse. Je ne savais pas quoi répondre.

- C'est juste que là... je devais.

- Pourquoi ? La violence ne résout rien.

Il a poussé un soupir.

- Écoute, je peux pas te le dire et au fond, on s'en fout.

- Non. C'est pas rien, regarde-toi.

Il a levé sa main et effleuré sa lèvre inférieure du bout des doigts.

- Il t'a pas raté.

- Tu dois me croire, je suis pas comme ça.

J'ai hoché la tête lentement.

- Est-ce que tu peux au moins me dire pourquoi Adam était si affolé, et pourquoi il te cherchait partout comme un fou ?

Il caressait les jointures enflées de ses mains.

- Je... c'est mon ami, c'est normal qui s'inquiète pour moi.

Je commençais à être excédée. Il ne m'avait pas faite venir pour me mener en bateau.

- Bon, je sais bien que je ne te connais pas, mais je sais encore reconnaître quelqu'un qui se fout de moi. Je crois qu'on n'a plus rien à se dire.

J'ai réajusté mon sac sur mon épaule et lui ai tourné le dos, commençant à marcher en direction de mon arrêt de bus.

- Attend ! s'est-il écrit en me rattrapant par le bras.

J'ai plongé mon regard dans le sien. Il a pris une profonde inspiration. Son expression était soudain plus dure.

- Justine, a-t-il dit en fronçant les sourcils.

Je ne sais pas pourquoi, la manière dont il a prononcé mon nom m'a fait froid dans le dos.

- Tu ne viens pas du même monde que nous. Il y a des choses que tu ne pourrais pas comprendre.

- Je ne suis pas une enfant, l'ai-je coupé en levant les yeux au ciel.

- Laisse-moi finir. Ça n'a rien à voir avec ça. Peut-être que dans ton monde on peut résoudre les problèmes avec quelques mots mais, chez moi, ça marche pas comme ça.

Il m'a regardée pendant quelques secondes.

- Chez moi, on a souvent besoin d'en venir aux mains pour que les gens comprennent. C'est parfois le seul moyen. Tu dois comprendre ça.

Troublée et perdue dans mes pensées, j'ai vaguement acquiescé. J'ai regardé Elias enfourcher son vélo puis s'éloigner dans la ville en slalomant entre les voitures.

𝐉𝐄 𝐍'𝐀𝐈𝐌𝐄𝐑𝐀𝐈 𝐏𝐋𝐔𝐒 𝐉𝐀𝐌𝐀𝐈𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant