15 : Une famille ordinaire

310 22 1
                                    


- Alors ? a demandé ma mère après que je suis montée dans la voiture, démarrant en trombe et me laissant à peine le temps de fermer ma portière.

- Alors quoi ? ai-je dit d'un air faussement innocent, voyant très bien où elle voulait en venir.

- Vous avez bien révisé ? a-t-elle dit en lâchant le volant une seconde pour mimer des guillemets avec ses doigts.

Et c'est reparti.

- Oui, on a bien révisé, ai-je répondu en accentuant ce mot et en la regardant d'un œil mauvais.

- Allez, dis-moi tout ! Je suis ta mère quand même. Il s'appelle comment ?

Justement, c'était ma mère. Et elle avait la fâcheuse tendance de vouloir se prendre pour ma meilleure amie. Selon elle, il était important d'avoir quelqu'un à qui se confier et, comme je n'avais jamais réellement rencontré personne digne d'endosser ce rôle, elle s'est toujours sentie obligée de le faire. Mais la vérité, c'est que je n'avais besoin de personne à qui raconter ma vie. Ça avait toujours été comme ça et ça m'allait très bien. Alors je lui disais ce qu'elle voulait entendre. Ce que signifie que je lui cachais la plupart des choses.

- Il s'appelle Elias, ai-je dit en soupirant. Et c'est tout ce que je sais de lui pour l'instant, ai-je conclu en tournant la tête vers la vitre afin de lui faire comprendre que la discussion était close.

Arrivée à la maison, je me suis dirigée vers ma chambre pour y déposer mes affaires. En passant dans le couloir, j'ai entrouvert la porte du bureau de mon père qui, comme a son habitude, avait la tête enfouie sous un tas de papiers et de dossiers.

- Salut.

- Bonsoir, ma chérie. Ça a été ta journée ?

- Oui, ça va.

- Très bien.

Et j'ai refermé la porte. Voici la seule discussion quotidienne que mon père s'autorisait. Si toutefois on peut appeler ça une « discussion ». Je me suis demandée comment il réagirait si un jour je lui répondais non. Ou plutôt, je me suis demandée s'il réagirait.

A table, comme toujours, un silence de plomb régnait que seul le bruit des couverts contre les assiettes en porcelaine venait altérer. Mon père, considérant le repas – tout comme le sommeil – comme une perte de temps, accorde dix minutes au dîner avant de retourner s'enfermer dans son antre.

D'aussi loin que je me souvienne, mon père a toujours été débordé de travail. Mais il répétait sans cesse qu'il faisait ça pour maman et moi. Que c'est grâce à son travail acharné qu'on pouvait s'offrir ce luxe : cette grande maison avec jardin et piscine, ces peintures informes et hors-de-prix accrochées au mur du salon... et tout le reste. Mais il ignorait la somme d'argent que maman et moi aurions pu troquer contre un peu de temps passé en sa compagnie. Il ignorait que toute cette poudre aux yeux n'est que matérielle et qu'on aurait largement pu s'en passer. Il ignorait qu'on aurait pu envoyer bagues en diamant et chaussures de luxe au diable pour quelques vacances en famille.

Mais son travail est toujours passé avant nous. Ça a toujours été comme ça et on a fini par se faire à l'idée que ça serait ainsi jusqu'à la fin.

Après le repas, je me suis précipitée dans ma chambre et enfermée à double tour. J'ai sorti de mon sac le bloc-notes où Elias avait écrit ses explications et j'ai tenté de les lire une dernière fois mais j'ai fini par m'endormir, épuisée, sans même prendre le temps de me glisser sous les couvertures.

J'ai été réveillée par la sonnerie de mon téléphone. Instagram : Maya07 vous a ajouté au groupe The Girls. J'ai poussé un long soupir. Je m'étais endormie plus d'une heure. Malgré la fatigue, j'avais terriblement besoin de prendre une douche. Je me suis alors levée de mon lit et j'ai traversé le couloir comme un zombie pour me rendre dans la salle de bains.

𝐉𝐄 𝐍'𝐀𝐈𝐌𝐄𝐑𝐀𝐈 𝐏𝐋𝐔𝐒 𝐉𝐀𝐌𝐀𝐈𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant