Chapitre 2.4

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L'unique passage pour sortir de la rangée passait par la table à laquelle siégeait toujours le jeune homme. Me mordillant la lèvre inférieure, je calais la pile de livres que je souhaitais emprunter contre moi, bataillais un instant avec la lanière de mon sac avant de me diriger bravement vers la sortie. En soi, marcher ne constituait pas une épreuve. Il s'agissait juste de mettre un pied devant l'autre. Sauf qu'avec moi, même cette simple action pouvait tourner au désastre. Et ce fut le cas... Être encombrée par un nombre conséquent de bouquins était à la base une mauvaise idée. Bien sûr je ne pouvais pas prévoir qu'il y aurait un obstacle sur ma route. La fatalité. J'y étais habituée. Gênée par mon chargement, la tête ailleurs (occupée par le beau garçon devant lequel j'allais passer pour être exacte), je ne vis pas le sac dépassant dans l'allée. Bien entendu je me pris les pieds dedans. Bien entendu je m'étalais lamentablement par terre. Pile devant la table de celui qui me troublait. J'aurais aimé pouvoir disparaître sous terre ou remonter le temps. Deux choses totalement impossibles malheureusement. À la place, je me retranchais derrière l'écran de mes cheveux tout en me relevant. Je jetais un regard assassin à l'objet fautif. Une main apparut soudain dans mon champ de vision et je cessais aussitôt mes imprécations silencieuses. Celle-ci ramassa mes livres éparpillés devant moi. Je remontais vers le visage de la personne pour le remercier quand mon souffle se bloqua dans ma gorge. Un amas de mèches noires, deux yeux d'un marron chaud, un sourire irrésistible.

— Ça va ?

Oh sa voix. S'il fallait quelque chose pour me faire encore plus perdre pied, ce fut le coup de grâce.

Il avait fallu que cela se passe juste devant lui. Une preuve supplémentaire de ma malchance légendaire. Le feu aux joues, je balbutiais un vague acquiescement. Ses doigts vinrent se poser sur mon bras pour m'aider à me relever. J'avalais péniblement ma salive tout en le remerciant. Pour le coup ma propre voix résonna pathétiquement à mes oreilles, enrayée par mon trouble. Une fois debout, je récupérais mes livres, veillant cette fois à bien les caler sous mon bras pour éviter toute autre catastrophe. Je me creusais la tête pour savoir quoi ajouter avant de repartir. Peine perdue, dans mon esprit, le néant. J'eus la mauvaise idée de replonger mes yeux dans les siens. Ne reste pas là à le fixer comme une idiote, m'intimais-je. Je le remerciais de nouveau et partie sans demander mon reste. Sur le chemin, je ne cessais de me traiter d'imbécile. Je préférais ne pas imaginer la piètre image que je lui avais laissée de moi. Il valait mieux que je me contente de rêver de son regard couleur d'automne.

Comment s'appelait-il ? Depuis cette rencontre, je ne cessais de penser à lui. À chaque cours, dans chaque couloir, je le cherchais du regard, le cœur battant d'anticipation. Il ne devait pas suivre le même cursus, car invariablement, ma recherche était vaine. J'écumais la BU avec encore plus d'assiduité que d'ordinaire sans le croiser. Je commençais à me faire une raison quand je l'aperçus. Je traversais le campus, perdue dans mes pensées. Je levais les yeux pour traverser lorsque mon regard accrocha sa silhouette. Mon estomac se contracta, je vacillais légèrement. Il partait dans la direction opposée. Je m'imprégnais de son image, de son visage sous les mèches noires ébouriffées par le vent, de ses muscles fins que l'on devinait sous sa veste en cuir noir. Quelqu'un l'interpella, car il se tourna vers la voix forte. Je tressaillis. Je venais d'avoir la réponse à ma question.

Arenht. Son nom résonnait encore à mes oreilles, sonorités peu familières, mais qui accentuaient l'aura de mystère autour du jeune homme. Je l'avais attrapé à la volée, secret dérobé et retenu tel un trésor. Je ne fis qu'entrapercevoir le visage de l'homme l'ayant interpellé. Déjà ils s'effaçaient derrière un bâtiment et avant que la tentation de les suivre se fasse trop forte, mes amis m'appelaient de l'autre côté du trottoir. Les cours allaient bientôt commencer. J'emportais l'identité de celui qui faisait battre mon cœur. Rêveuse, je ne vis pas le temps passer, écoutant d'une oreille distraite les conversations de Cassie et Ethan.

À la fin de l'heure, je fus à peine surprise en découvrant ce que j'avais machinalement griffonné sur le bord de ma feuille. Six lettres entrelacées. Je fermais rapidement mon classeur, le rouge aux joues. En l'absence de remarques de ma voisine, j'en déduisis que mon manège lui avait échappé. 

Protège-moi - T.1 Pleine lune [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant