15/ Mise au point

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Après le café, elle appela sa tante, qui habitait près de chez ses parents. Il s'agissait de la sœur de son père. Elle l'informa de la tragédie, lui raconta d'une voix blanche que les gendarmes l'avaient prévenue qu'ils avaient eu un accident de voiture et qu'ils étaient décédés sur le coup. D'après l'unique témoin, un choc frontal dû à un chauffard ivre, lui aussi décédé. Au moins, ils n'avaient pas soufferts, maigre consolation.
Elle pleura encore beaucoup dans mes bras. Je l'embrassai, sur la bouche, sur les yeux, sur les joues, sentant le sel que ses larmes avaient déposé. Je ne pouvais rien faire d'autre que lui offrir ma présence, ma chaleur. Je savais que seul le temps apaiserait sa souffrance, en attendant, ma tendresse l'aidait, du moins j'aimais à le penser.
Elle me parla de ses parents. D'origine espagnole, ils avaient immigré en France pour offrir un meilleur avenir à leur famille. Ils venaient d'entamer leur retraite, depuis à peine trois mois pour son père qui avait travaillé toute sa vie sur des chantiers, guère plus pour sa mère qui avait trimé dans la même usine pendant plus de quarante ans. Ils s'étaient usés au travail, mettant de l'argent de côté pour les vieux jours pensant voyager et profiter de la vie à la retraite. Seulement voilà, le destin en avait décidé autrement, leurs projets ne se concrétiseraient jamais.
-Pourquoi ? Tout ça pour quoi ? La vie est injuste ! Ils ne méritaient pas ça ! criait Lola entre deux crises de larmes.
Elle m'apprit aussi qu'ils avaient une petite maison dans la banlieue nord de Pau.
-Qu'est ce que je vais faire ? La vendre ? La garder ? s'interrogea-t-elle.
-Ecoute Lola, tu n'es pas obligée de prendre toutes les décisions aujourd'hui, tu dois digérer tout ça. Donne-toi du temps.
Après un long moment, entendant mon estomac gargouiller, je tentai :
-Il est presque midi, tu as faim ?
-Pas vraiment...mais toi oui, remarqua-t-elle.
-Ca te dérange si je me fais des pâtes ? demandai-je un peu gêné.
-Fais comme chez toi.
Pendant que je mettais de l'eau à bouillir, son téléphone sonna. En soupirant, elle consulta le nom qui apparaissait et tout allant dans sa chambre, elle répondit. Avant qu'elle ne ferme sa porte, j'entendis :
-Salut Franck.
Franck, ... j'avais tendance à l'enlever de l'équation, celui-là, mais que ressentait-elle pour lui ? Notre baiser n'était-il que le produit de son chagrin, de son besoin de tendresse ?
On n'en avait pas discuté, il y avait plus urgent à gérer que nos histoires de cœur.
J'aurais aimé être une petite souris et écouter leur conversation mais je me contentais de me concentrer sur les pâtes que j'accompagnais d'une sauce oignon, tomates et d'escalopes de poulet. J'espérais que l'odeur donnerait envie à Lola de manger un peu. Je n'étais pas à proprement parler un cordon bleu mais toutes ces années de célibat m'avaient au moins appris à maîtriser les bases de l'art culinaire.
J'avais quasiment fini quand elle reparut, visiblement elle avait encore pleuré.
-Ca va ?, demandai-je, inquiet.
-J'ai rompu avec lui.
Je tentai sans y parvenir de réfréner un sourire qui commençait à étirer mes lèvres. Pour ne pas qu'elle voie la manifestation de ma joie à cette nouvelle, je me tournai, jouant le cuisinier consciencieux qui remue sa sauce.
-Pourquoi ?, questionnai-je.
-Parce que je reste avec lui pour de mauvaises raisons, je ne veux plus faire semblant, je ne veux plus perdre de temps, ... On croit toujours qu'on a le temps, on remet au lendemain des discussions essentielles mais finalement, ...on ne sait jamais...
Après un petit moment, elle continua :
-J'ai besoin de savoir... Matt, je représente quoi pour toi ? Je veux dire... je sais que je te plais, mais, qu'est ce que tu attends de moi ? ...Qu'est ce que tu ressens pour moi ?
Elle me mettait le dos au mur, je ne pouvais plus reculer. Je me retournais pour lui faire face, son regard happa le mien.
-Tout ce que je sais, c'est que... je tiens à toi...beaucoup... et que je suis content que tu aies rompu avec Franck.
-Tu es toujours avec Célia, ou... ou avec une autre? hasarda-t-elle en s'approchant de moi.
-Je n'ai jamais été amoureux de Célia et j'ai arrêté de la voir. Pour les autres, disons que j'ai fait un grand ménage dans ma vie. J'ai changé, tu m'as changé... C'est toi que je veux, et rien que toi, dis-je à voix basse.
Je m'étais rapproché d'elle, nos corps se frôlaient. Ma respiration s'était accélérée ainsi que mon rythme cardiaque. Ma main caressa tendrement l'ovale de son visage et je posai un baiser léger sur ses lèvres.
-Oui pour l'instant... murmura-t-elle tristement.
Je m'assis sur la chaise et l'obligeai à s'assoir à califourchon sur moi. Je collai mon front au sien et fermant les yeux je lui dis tout bas :
-Ecoute, je sais que tout ce que je t'ai dévoilé sur ma vie te fait peur mais il y a une chose que je peux te promettre : je serais toujours sincère et honnête, pas de mensonge...
Après une légère pause, j'ajoutai, inquiet :
-Et toi, tu veux de moi ?
Elle posa ses lèvres sur les miennes et ajouta :
-Ca te suffit comme réponse ?
Je l'enlaçai. Ce n'était peut-être pas une déclaration digne d'un film hollywoodien, mais pour moi, c'était déjà un pas immense. Hormis une fois à ma mère et à mon frère, je n'avais jamais dit les fameux trois petits mots à personne. Il avait fallu l'électrochoc de la disparition de mon père pour que je le dise à ma famille. Ce n'était pas naturel pour moi d'exprimer ainsi mes sentiments. Pourtant il était évident que j'aimais Lola. J'avais lutté pendant des mois, essayé de nier puis de dompter mes sentiments. Mais l'amour était indomptable, incontrôlable, je commençais à m'en rendre compte. Maintenant, tout ce que je pouvais espérer, c'était qu'elle m'aime aussi.

Les yeux de Lola Où les histoires vivent. Découvrez maintenant