16/ Terres natales

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J'avais passé tout le dimanche avec Lola.  Nous avions fait comme si rien n'avait changé, je ne l'avais plus questionné sur sa famille et elle n'avait pas souhaité m'en parler davantage. Il fallait qu'elle digère son chagrin, qu'elle se résigne à accepter la fatalité.
Nous n'avions pas reparlé de nous, nous laissant porter par les évènements. Elle semblait privilégier ma tendresse et je ne voulais pas la brusquer.
Nous avions choisi le pire moment pour commencer une histoire, elle n'était pas tout à fait elle-même, son enthousiasme et sa gaieté naturelle avait du mal à lutter face à une tristesse infinie.
Ne sachant pas trop comment me comporter, j'avais opté pour une après-midi comme il nous était déjà arrivé d'en passer. Après avoir mangé mon excellent plat (si, si), nous avions regardé des films sur son écran, elle s'était installée contre moi sur le canapé et somnolait la tête sur mon épaule. Elle semblait exténuée et je n'avais pas eu le cœur de la déranger.
J'essayais de concentrer mon attention sur les images qui animaient l'écran mais c'était peine perdue. Malgré tous mes efforts, mon regard se perdait sur ses courbes, sur la rondeur de ses seins que je devinais sous son top, sur sa clavicule nue qui m'apparut très appétissante, sur ses lèvres que je voulais déguster encore. Pourtant, je ne fis rien, j'avais terriblement envie de la toucher, de la caresser, mais je réfrénais mes ardeurs, décidément, ça devenait une habitude !
Je me découvrais une patience incroyable. D'habitude au bout de 2-3 rencards, l'affaire était conclue, parfois même le premier soir, si la fille était partante. Mais avec elle, j'avais vraiment pris le temps de la connaître, et même maintenant alors que nous nous étions embrassé, rien... que des câlins et des baisers... Jamais je n'aurais cru pouvoir avoir une relation aussi profonde avec une femme, surtout sans coucher avec elle !
Le soir venu, je rentrais chez moi, j'avais besoin de dormir moi aussi, les prochains jours risquaient d'être très éprouvants. Elle m'avait assuré que tout irait bien pour la nuit. Ainsi, j'avais rendu sa voiture à Tristan et récupéré ma moto au passage.
Nous avions convenu que j'irai avec elle dans le Béarn pour affronter les modalités indispensables à la disparition de ses parents. Je n'avais pas eu de problème à poser quelques jours de congés, prétextant un problème familial. Mon boss n'avait pas sauté de joie mais il savait que je resterais joignable au cas où et que je mettrais les bouchées doubles à mon retour.
Nous partîmes le lundi matin avec ma Ford Fiesta. Ma voiture, plus récente était bien plus sure que sa vieille 206. Elle m'indiqua la route pour rejoindre sa maison natale. Nous avions préféré emprunter l'autoroute Aliénor, elle était certes chère mais plus agréable que la piste des Landes, cette nationale toute droite qui traversait la forêt de pins des Landes était d'un ennui soporifique.
Je me mis à regretter qu'elle ait choisi de porter un pantalon, certes confortable pour faire de la route, mais qui m'empêchait de voir ses jambes. J'aurai adoré pouvoir lorgner sur ses cuisses, apercevoir ses dessous, frôler sa peau lors d'un changement de vitesse...
Concentre-toi sur la route, Matt!
Après un peu plus de deux heures de route, nous arrivâmes devant la maison de ses parents.  Il s'agissait d'un petit pavillon sans prétention avec un grand jardin arboré dans un petit village agréable. L'intérieur était simple mais chaleureux avec un charme rustique.
Elle me montra sa chambre qu'elle avait quittée sept ans auparavant, à ses 18 ans. Il n'y avait qu'un lit double, un petit bureau et une armoire. Les murs étaient couverts de posters de groupe de rock, The Offsprings, AC/DC, mais aussi d'images représentant la nature : les Pyrénées enneigées au lever du soleil, un loup solitaire dans une forêt. Il y avait également des affiches du Biarritz Surf Festival, cette étape annuelle du championnat de surf, et des images de surfeurs réalisant des figures sur des vagues, ce qui me fit sourire, ainsi elle fantasmait sur ces sportifs...
Je ne me sentais pas à ma place dans ce lieu. C'était son univers d'enfant, d'adolescente, j'avais l'impression de violer son intimité.
-Tu es sûre que tu veux que je reste ici ? demandai-je.
Elle m'interrogea du regard.
-Ca me fait vraiment bizarre d'être dans ta chambre d'enfant, ajoutai-je.
-Il y a aussi une chambre d'ami si tu préfères.
Je m'installai donc dans la chambre voisine, à la décoration plus neutre.
Je rencontrais sa tante. C'était une femme dans la petite soixantaine, dynamique aux cheveux bruns et courts. Elle semblait d'un naturel jovial même si les circonstances contrariaient son caractère. Elle était accompagnée par son mari, il semblait plus bourru, plus froid au premier abord mais je devinais un homme franc et entier derrière cette façade. Ils avaient deux filles, les cousines de Lola, qui n'arriveraient que le mercredi pour les obsèques. Ils avaient déjà commencé à s'occuper de l'église et du prêtre, allégeant ainsi la corvée de Lola.
Lola me présenta comme son ami. Je ne relevais pas, ce n'était pas le meilleur moment pour des présentations officielles.
Je leur proposais de les laisser gérer ces affaires familiales entre eux et de me faire discret. Je me sentais de trop.
-Lola, tu es avec ta famille, je ne veux pas t'encombrer... On se retrouve ce soir ?
- OK, dit-elle avec regret.
Je la serrai dans mes bras et l'embrassai sur le front.
J'avais toute l'après-midi à m'occuper. Le Pays Basque n'était pas loin. J'appelai ma mère pour vérifier qu'elle était chez elle et l'informer de ma visite. Cela faisait longtemps que je n'étais plus retourné sur mes terres natales, aussi après les salutations, ma mère demanda :
-Qu'est ce que tu fais là ?
Je lui expliquais rapidement la situation.
-Lola ? LA Lola dont on parlait l'autre jour ? insista-t-elle.
-Oui, maman. On est ensemble maintenant, confirmai-je dans un sourire.
Je le réalisais à peine, on était ensemble. Nous en étions au tout début de notre relation, mais à cette pensée, je ressentis des papillons virevolter dans mon ventre. En dépit des circonstances, j'étais heureux.
Je passais l'après midi en compagnie de ma mère et de Paul, son conjoint. Après avoir mangé, on se promena sur les sentiers qui m'avaient vu grandir. Il faisait assez beau et chaud en ce début du mois de juin. Rien n'avait changé depuis mon enfance, cet endroit perdu dans la campagne était un havre de paix où le temps n'avait aucune emprise. Nous étions suffisamment loin de l'océan pour que les touristes n'aient pas envahis la région.
La culture basque était très présente dans l'arrière pays, ici, les étrangers n'étaient que des touristes de passage et les bordelais qui installaient leur maison secondaire étaient assez mal accueillis. Comme la plupart des citadins des grandes villes, ils avaient tendance à rabaisser les autochtones, croyant que leur argent achetait tout.
Les basques étaient pour la plupart issus de milieu modeste, rural, lié à la terre ou à la pêche. Leur environnement magnifique mais rude leur avait forgé un caractère bien trempé. Il pouvait s'avérer difficile de se lier d'amitié avec eux car ils pouvaient se montrer froid, distant au premier abord. Mais une fois la première impression de méfiance passée, ils devenaient des amis généreux, sincères, sur lesquels on pouvait compter à vie.
Cela me fit du bien de revenir chez moi. J'avais des souvenirs partout ici, avec mon père, mon frère, mes amis. Je me rappelais des courses en VTT, qui avaient été remplacés par des motos ensuite dans les bois et sur les petits sentiers, des jeux d'adresse au lance-pierre derrière la maison avec Tristan, de mon premier baiser avec la douce Alice derrière le fronton, de mon dépucelage dans la caravane qui trainait sous l'abri.
Tout cela me rendit un peu nostalgique. J'avais eu une enfance préservée, heureuse ici. J'aimais ce petit village, j'aimais la maison familiale aux murs blancs et aux colombages rouges typique des maisons d'ici.
Mais je ne pourrais plus jamais vivre ici, cette maison me semblait remplie du fantôme de mon père. Je le revoyais, toujours à bricoler au fond du garage, à fabriquer des meubles en sifflotant, m'apprenant à me servir des différents outils. Ces souvenirs si précieux me renvoyaient au vide de son absence, et je ne le supportais toujours pas.

Les yeux de Lola Où les histoires vivent. Découvrez maintenant