Les yeux de Lola

2/ En piste

-Allô ?
-Salut, c'est Fred !
-Hey, quoi de neuf ?
-Dis, ça te dirait d'aller faire un tour à la montagne, un week-end entre mecs ? proposa-t-il.
-Ouais, carrément ! Quand ?
-Ma sœur peut nous prêter son chalet fin janvier.
-C'est bon pour moi, affirmai-je.
-Tu crois que Tristan pourra venir ?
-Faut voir, je lui en parlerais.
- OK, tiens-moi au courant !
Nous échangeâmes encore quelques banalités puis il raccrocha. Un week-end entre gars... Ce serait cool. Faudrait convaincre Tristan, ou plutôt Cathy, sa femme, de le laisser s'échapper. Non pas qu'elle soit possessive, non. Mais depuis l'arrivée du petit Léo, elle acceptait plus difficilement que mon frère fasse l'impasse sur ses devoirs de père.
Je l'appelais donc pour lui proposer notre escapade. Après moultes négociations, ils arrivèrent à un arrangement. Tristan gagnait un week-end avec nous à la montagne loin de ces obligations familiales et Cathy obtenait deux après-midi et trois soirées pour retrouver sa liberté de femme.
Depuis Bordeaux, il nous faudrait 3h de route pour arriver à la station des Pyrénées. On décidait de partir le vendredi soir et de rentrer le dimanche soir pour en profiter au maximum.
Le fameux vendredi arriva vite et c'est excités comme des gamins que nous rejoignîmes la station de ski. On chantait, hurlait plutôt dans la voiture de Tristan sur des airs rock et punk. Cela avait le mérite de tromper l'ennui d'un trajet de nuit et de nous faire marrer.
Après avoir récupérer nos bagages et affaires de glisse que nous avions laissés en vrac dans l'entrée, nous nous mîmes à l'aise. Le chalet comprenait une grande pièce qui faisait office de salon/salle à manger et dans un coin se trouvait une kitchenette assez basique. Après tout, on n'était pas là pour faire la cuisine. Il n'y avait que deux chambres avec des grands lits et une salle d'eau basique elle aussi. Le chalet était assez sommaire mais plein de charme, on s'y sentait tout de suite à l'aise.
On tira au sort pour savoir qui dormirait sur le canapé défraichi mais assez confortable. Je n'avais jamais de chance aux jeux de hasard et encore une fois, le sort me fut défavorable, confirmant la règle. Je râlais plus pour la forme qu'autre chose. J'avais l'habitude de dormir autre part que dans mon lit et puis ce ne serait que pour deux jours.
A peine installés, une bière à la main, Tristan me questionna :
-Alors, frangin, toujours pas de copine ?
-C'est bon, tu vas pas recommencer avec ça !
-Ben quoi ? J'me renseigne, c'est tout !
-Ecoute, je suis très bien comme ça. Je suis libre, zéro contrainte. Quand je veux baiser, j'appelle une copine ou je drague une fille... C'est cool !
- Putain, Matt, t'as 28 ans, t'es plus un gosse !  Les sexfriends, c'est plus de ton âge. T'as pas envie de plus ? De partager autre chose que du sexe ? Je sais pas, moi... Avoir une copine, le mariage, fonder une famille. Tu sais, ce que la plupart d'entre nous font....
-Je sais pas.... Franchement, je n'ai jamais eu envie de me caser.
-T'as peut-être pas trouvé la perle rare....
-Pourquoi se contenter d'une perle quand tous les joyaux du monde sont à ma portée ?
Sentant que le sujet étais clos, Fred embraya sur une autre conversation.
Ils commençaient à me gonfler à essayer de me convaincre qu'on ne pouvait être heureux qu'en couple. J'aimais ma liberté, mon indépendance, ne pas avoir de compte à rendre.
Tristan était marié depuis trois ans et Fred filait le parfait amour avec sa copine Mélissa depuis presque aussi longtemps. Moi seul restais célibataire. Oh bien sûr, j'avais eu des copines régulières, surtout pendant mes études, mais ça n'avait guère tenu plus de quelques mois. Au bout d'un moment, je me lassais. Je ne pouvais m'empêcher de regarder les autres filles et de fantasmer sur elle. Je n'avais pas de type de fille préféré. Blonde, brune, je m'en foutais. Par contre, j'aimais leurs courbes, l'arrondi de leurs fesses, le creux des reins, la naissance des seins. Tristan disait que je n'étais pas assez mature, me traitant d'ado attardé. Mais peut-être que je n'avais pas la même conception de la vie, du sexe, de l'amour.
D'ailleurs je n'y croyais pas vraiment à l'amour. Je n'avais jamais éprouvé ce sentiment, jamais ressenti cette euphorie qui faisait tourner la tête. Pas même au lycée, alors que tous mes potes tombaient amoureux les uns après les autres.
Je me sentais plus comme un chasseur, qui, quand il voyait sa proie, voulait la capturer. Mais une fois le jeu de la séduction passé, une fois que nos corps s'étaient rassasiés l'un de l'autre, mon intérêt retombait et je m'ennuyais.
Parfois je me demandais si j'étais capable de tomber amoureux, j'aurais voulu ressentir les effets de l'amour au moins une fois dans ma vie, connaître cet élan du cœur... mais peut-être que quelque chose ne tournait pas rond chez moi...
Pour détendre l'atmosphère, Fred entreprit de rouler un joint. De la bière, de l'herbe...Nous retournions des années en arrière, quand nous étions tous des ados insouciants. Après seulement deux bouffées, nous étions déjà stones. On ne fumait pas souvent, seulement dans les soirées entre gars et chez moi, Cathy ne voulait plus de fumée chez eux à cause du bébé, et Mélissa n'aimait pas trop l'odeur qui avait tendance à s'imprégner. Trop sérieuses ces filles...
Le cannabis était cultivé par Fred, dans un placard avec une lampe puissante. « J'ai mon p'tit soleil perso ! » disait-il.  Ainsi, nous savions ce que nous fumions mais nous étions aussi limités en quantité. Pas de résine, pas de dealer, pas de problème...
Nous riions comme des idiots, pouffant au moindre regard, refaisant le monde avec cette vision étrange que donnait la drogue. J'aimais bien être défoncé, le monde paraissait toujours plus beau, plus drôle, plus simple. Nous n'abusions jamais, le but étant d'être joyeux, un sourire béat incrusté sur le visage. Et ensuite, on s'empiffrait de chips et de biscuits.
Recrachant des volutes de fumées, je concluais :
-Hey les mecs, elle est pas belle la vie ?
Ils me regardèrent avec leurs yeux à demi fermés et nous éclatâmes de rire.