Un calme profond m'avait envahi en patientant. Adossé à mon arbre, j'étais tranquille. Parfois, un mot prononcé par Raziel explosait par dessus le doux bruissement de la nature. Sinon, la sérénité était partout et elle m'avait happé dans une étreinte puissante. Je n'étais pas certain d'avoir envie qu'elle me libère.
Raziel finit par s'apaiser et quitta le jardin par l'entrée à quelques mètres de moi. J'eus envie de rire. S'il savait que je vivais là, dans ce couloir qu'il allait emprunter, parce qu'on me préparait à lui prendre sa place ! Il serait bien moins calme ! Déjà qu'il ne m'appréciait pas, ça n'arrangerait pas nos relations.
Meriel ne tarda pas à réapparaître. Il vint s'asseoir à côté de moi et mes ailes le laissèrent s'appuyer contre elle. Je ne comprenais pas pourquoi elles avaient brûlé le t-shirt de Raquel mais qu'elles ne faisaient rien à Meriel. Encore une chose pour lesquelles il me fallait des réponses.
- Qu'est-ce qu'il avait ? questionnai-je.
- Si j'ai bien tout compris de ses élucubrations, Gabriel l'a chargé de trouver le traître. Il est furieux. Il s'est rendu compte que quelque chose n'allait pas et il est terrifié à l'idée que Gabriel ou Michael le découvre. Je ne suis pas certain de la raison mais j'ai l'impression que Gabriel vous met en compétition.
Je me redressai et fronçai les sourcils. Son expression était lointaine, prise dans ses propres réflexions.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Je ne suis pas sûr. Ça me paraît étrange qu'il te charge de retrouver les livres d'Hénoch alors qu'il a déjà mis des Chérubins sur le cas. Et maintenant, on apprend qu'il a chargé Raziel de trouver le traître ? Cela ne te parait-il pas surprenant ? Encore plus en sachant qu'il sait que Raziel n'est pas réellement un archange et qu'il ne peut pas faire la moitié de ce que vous pouvez faire.
Tout ce que je relevai de son discours fut qu'il me casait déjà avec les archanges et plus avec les anges. Je me raidis. Comment pouvait-il accepter ce fait aussi aisément ? Je ne l'avais toujours pas accepté.
- Non. J'ai plutôt l'impression qu'il tente de le pousser à admettre qu'il n'est pas à la hauteur. À ravaler sa fierté. Et il essaie de provoquer la découverte de mon énergie. Je n'avais pas réfléchi à ses motivations mais maintenant, je pense qu'il a juste tout organisé pour faire la transition le plus subtilement possible.
- Tu es bien plus magnanime avec lui que je le suis.
- Il n'est pas mauvais. Il fait de son mieux. Comme nous tous.
Je frémis lorsque sa main se posa sur la mienne. Je ne m'étais pasattendu à ce soudain contact. Sa peau était froide contre lamienne.
- Si tu es devenu un archange, c'est que tu en es capable, Rahel. Tu ne donnes pas assez de crédit.
- Parce que je n'en ai aucun. Ce n'est pas grâce à mes capacités que je suis devenu un archange. C'est parce que Cassiel m'a fait tuer. Rien d'autre. Il n'est pas question de moi. Il n'en a jamais été question. Même lorsque j'étais humain, j'étais jetable. Mes parents se sont débarrassés de moi dès que l'argent a commencé à manquer, tous les endroits où j'ai été m'ont embauché jusqu'à ce qu'ils trouvent mieux ou qu'ils n'aient plus besoin de moi. Même aux Cieux, je suis jetable. On m'utilise et on me jette. Je me suis fait à l'idée.
- Ne dis pas ça, aboya-t-il sèchement. Ne redis jamais ça devant moi ! Comment oses-tu me dire ça, à moi ! Crois-tu réellement que je ne fais que t'utiliser ? Que je fais tout ça dans un but quelconque ?!
Je m'orientai vers lui, coupant tout contact entre nous. La teinte turquoise de ses prunelles était si vive qu'elle semblait luire sur sa peau. Ses ailes étaient presque entièrement bleues tant il réveillait d'énergie dans son courroux.
- Je ne sais pas pourquoi tu le fais, chuchotai-je sans le regarder.
Lorsqu'il saisit mon menton, il serra si fort que je crus qu'il allait me déboîter la mâchoire. Il me faisait réellement mal mais je n'osai pas broncher. C'était la première fois que je le voyais dans un tel état. Il se mettait difficilement en colère, trop rationnel et pondéré pour ça. J'aurais dû me douter qu'il serait le genre à ne pas aller dans la demie-mesure une fois qu'il exploserait.
- Peux-tu me dire à quoi ça m'a servi d'aller contre les Cieux avec toi pour combattre Lucifer et ses sbires ? Qu'ai-je gagné à être ton ami ? Qu'aurais-je gagné si j'avais été tué durant la bataille ? Dis-moi quel intérêt aurais-je à faire des allers-retours entre ici et la Terre, en laissant mes protégés seuls ? DIS-LE-MOI !
Je gardai la bouche résolument fermée. Je n'avais pas de réponse. Il n'avait rien gagné. De nous deux, j'étais celui qui avait monté dans la hiérarchie. Lui avait juste hérité de mon protégé. Ce n'était pas comme s'il avait beaucoup à gagner en faisant ce qu'il faisait.
- Réponds-moi, Rahel !
Il m'obligea à relever la tête pour que je ne parvienne pas à éviter son regard. Mes cervicales commencèrent à me faire souffrir. Pourtant, je ne bronchai toujours pas. Je le laissai lire sur mon visage la honte, l'angoisse, la solitude. Le doute. Je ne me souvenais pas avoir jamais été aussi ouvert avec quelqu'un.
Si j'avais dû parier sur quelqu'un avec qui j'aurais ce genre de moment, ça n'aurait jamais été Meriel. Je me souvenais encore du début, que je n'avais qu'un mot pour le décrire : imbuvable. Comment en étions-nous arrivés à être aussi proches ? Je n'avais jamais eu d'amis donc je ne pouvais être sûr de rien mais des amis étaient-ils réellement aussi... Je n'avais pas de mot pour décrire ce qui nous reliait. Toujours était-il que ça ne ressemblait pas à de l'amitié. C'était différent, plus profond, plus complexe. Unique.
- Dis-moi. Dis-moi qu'avais-je à gagner dans tout ça ?
Une réponse se fit un chemin dans mon esprit. Un seul mot que je n'aurais jamais cru pourrait répondre à une telle question. J'étais terrifié à l'idée de le prononcer.
Heureusement, il parut lire sur mon visage et cela lui suffit. Sa main ne me lâcha pas mais se fit plus douce dans sa prise sur mon menton. Mon cou se détendit et la douleur ne devint qu'un engourdissement gênant. Je continuai de le fixer
- Tu as enfin compris pourquoi j'ai fait tout ça, dit-il doucement, une raideur dans la voix.
Je hochai lentement la tête. Juste assez pour que le geste soit clair mais pas assez pour briser le contact visuel.
- Je n'attends rien de plus.
Mes ailes s'étendirent et s'enroulèrent autour de nous pour l'empêcher de reculer, de partir. Pour le rapprocher. Ses yeux s'écarquillèrent.
Sa main quitta mon visage pour venir caresser l'intérieur de mon aile. Les plumes intérieures étaient bien plus sensibles que celles, épaisses, de l'extérieur. Un frisson me secoua tout entier.
- Es-tu sûr de toi ?
Sa voix tremblait. Mes ailes se resserrèrent encore plus. Je dus baisser la tête pour maintenir l'échange de regard. Je chassai une feuille de peuplier de ses cheveux. Mes doigts décidèrent d'eux-mêmes de s'emmêler dans les mèches de jais.
Il se hissa sur la pointe des pieds et oscilla là, à quelques millimètres. Pour me donner l'occasion de revenir en arrière. Il ne patienta qu'une seconde avant de venir doucement poser ses lèvres sur les miennes.
Toute hésitation, toute prudence, toute anticipation disparurent. Mes bras et mes ailes le serrèrent avec force. Mes yeux se fermèrent pour profiter de ce baiser que je n'aurais cru pourrait survenir. Le temps s'arrêta et le monde entier s'effaça pour nous isoler dans le moment le plus parfait de nos vies.
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NdlA : Oui, je suis en retard, je sais. Mais j'avais peur de la réaction de @CHAVAlie et @lanemon44 après ce chapitre alors je me suis enfoncée dans la série que je suis en train de regarder pour repousser l'inévitable !
Mais j'espère que ce chapitre vous aura plus quand même !
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Cold Days In Heaven (A Season In Hell #2)
FantasyDepuis son retour aux Cieux, Rahel se sent pris au piège. Chargé de s'occuper des Cupidons, il ne peut rien faire pour les mortels. Les portes des Enfers ont certes été fermées mais Lucifer et ses sbires sont piégés sur Terre. Sans oublier le traîtr...