Prologue

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EDEN

Deux ans plus tôt

En norvégien, le mot Forelsket correspond à l'état dans lequel nous nous trouvons quand nous tombons amoureux.

C'est cette envie de sourire dès que la personne est à proximité, de la toucher dès qu'elle s'approche ; c'est cette capacité de l'écouter parler pendant des heures sans s'ennuyer, d'être plus heureux en sa présence. On ne peut pas l'expliquer mais on le sent, c'est tout.

Quand Lilia m'a expliqué ce que cela voulait dire, je n'ai pas tout de suite compris l'implicite de la chose – j'imagine que les hommes ne sont pas très doués pour ça. Mais, quand j'ai aperçu cette étincelle dans ses yeux noisette, que j'ai senti son cœur battre à travers sa peau fine sous mes doigts, j'ai compris qu'elle était en train de le dire.

Qu'elle était en train de me dire qu'elle tombait amoureuse de moi.

— Tu dors ? murmure-t-elle soudain dans l'obscurité.

Je me retourne et mon regard s'accroche au sien, un rai de lumière venant du couloir éclairant légèrement son visage.

— Non, réponds-je en emmêlant mes jambes aux siennes sous la couette.

Sa peau, d'une chaleur aussi extrême que d'habitude, jure avec la mienne qui est d'une fraîcheur alarmante – Lilia adore m'appeler « le cadavre ». C'est d'ailleurs étonnant qu'elle ne m'ait pas encore repoussé d'un coup de pied comme elle le fait d'habitude.

— Tu penses à quoi ? questionne alors la blonde, sa main coincée sous son oreiller.

— Au forelsket, murmuré-je.

Un beau sourire éclaire son visage dans le noir et elle trace lentement les contours de ma mâchoire avec son doigt. Le silence s'étire à l'infini dans la petite chambre, nos deux corps tout proches l'un de l'autre. Il faut dire que dans ce lit une place, il n'y a pas vraiment de quoi s'étendre. Pour autant, je ne vais pas m'en plaindre.

Lilia vient dormir une à deux fois par semaine dans mon lit, ici à l'internat. Elle préfère qu'on dorme chez elle, mais cela m'oblige à sécher les cours le lendemain – et en général, ça se finit assez mal pour moi dans ces cas-là. C'est pour cela qu'elle a fini par capituler et venir elle-même jusque-ici, puisqu'elle commence une à deux heures plus tard que moi le matin et qu'elle n'est donc jamais en retard. Il a fallu que je lui promette un tiroir dans ma minuscule armoire pour la convaincre, mais franchement je n'ai aucun regret.

— Dis, Eden, dit-elle soudain.

Sa main s'immobilise au-dessus de ma joue quand elle demande :

— Est-ce que tu me détesterais si je te disais que...

Elle est interrompue par un bruit sourd dans le couloir qui me fait redresser immédiatement. Je m'immobilise, aux aguets.

Si Jérôme nous surprend, je suis mort. Ou pire, émasculé.

Quand je me tourne vers Lilia, elle est en train d'enfiler son manteau par-dessus son débardeur.

— Qu'est-ce que tu fais ? demandé-je en me grattant la tête, surpris.

Elle s'immobilise pour me regarder, la tête penchée. Bordel ; même décoiffée, sans maquillage et en pyjama, je n'ai jamais vue une femme aussi belle. C'est d'ailleurs ce que je m'apprête à lui dire quand elle m'embrasse la lèvre supérieure, me prenant de court.

— Je ne veux pas t'attirer d'ennuis, réplique la blonde en se reculant.

Je ne sais pas si c'est son sourire triste ou ses yeux brillants de larmes mais au moment où elle prononce cette phrase, je sens aussitôt que quelque chose ne va pas.

— Mais tu voulais me dire quelque chose, insisté-je en me levant à mon tour.

Je tends les mains vers elle mais elle se détourne pour ouvrir la fenêtre, geste qui m'enfonce littéralement un couteau en pleine poitrine.

Elle me repousse. Elle me repousse, et c'est la première fois que ça arrive.

— Lilia, commencé-je, les sourcils froncés.

Elle passe ses jambes par-dessus le rebord de la fenêtre et tourne son visage vers moi, visage qu'elle tente d'habiller d'un sourire. Pour autant, ce masque ne trompe personne.

— Il est parti, c'est bon, tenté-je pour la rassurer. Reste.

— Laisse tomber Eden, je ne veux pas que tu te fasses engueuler à cause de moi. Bonne nuit, ok ?

Elle m'adresse un dernier sourire très peu convaincant avant de se laisser tomber sur l'herbe humide, sûre d'elle. Je n'ai jamais autant regretté être au rez-de-chaussée et lui avoir montré cette petite combine qui consiste simplement à passer par la fenêtre pour s'enfuir. Peut-être qu'elle aurait été forcée de rester.

Les sourcils froncés, je la regarde traverser l'étendue verte qui borde l'internat avant de remonter la rue, toujours aussi passante même en plein milieu de la nuit. J'aperçois d'ici sa queue de cheval blonde se balancer sur ses épaules, éclairée par la faible lumière des réverbères. J'attends patiemment qu'elle se retourne pour m'envoyer un baiser comme d'habitude, mais elle ne m'offre même un regard. Je suis complètement perdu.

Et encore, à ce moment-là, je ne savais pas que Lilia allait briser ma vie.

ForelsketOù les histoires vivent. Découvrez maintenant