EDEN
Je ne sais pas ce qui m'a pris. Enfin, si, je le sais. Je le sais et ça m'énerve profondément.
Depuis mon engueulade avec Sacha, je me sens encore plus en colère qu'avant – si c'est possible. Ne plus avoir mon meilleur ami à mes côtés se révèle bien plus difficile que prévu.
Samedi matin, je suis resté bloqué à regarder son numéro de téléphone inscrit sur mon portable sans oser l'appeler pour m'excuser. À cause de tout ça, j'ai loupé mon arrêt de métro et j'ai mis un temps fou à faire demi-tour jusqu'à l'association – ça m'apprendra à vouloir économiser de l'essence. Heureusement, la journée est passée vite. Cette fois-ci, je n'ai pas été jumelé à Callisto et c'est une sorte d'hipster, David si ma mémoire est bonne, qui a terminé ma formation. J'ai passé des heures à jouer avec les enfants puis à ranger leurs bêtises une fois qu'ils étaient partis rejoindre leurs parents. Être avec eux m'a fait moins mal que ce que j'avais prévu ; à vrai dire, c'était une vraie thérapie. Pendant quelques heures, je me suis de nouveau vu à dix-huit ans avec mes rêves plein la tête. Autant vous dire que le retour à la réalité quand je suis rentré chez moi n'en a été que d'autant plus difficile.
La suite de la semaine a été une véritable torture. Je suis passé à l'association lundi et mardi puis j'ai décidé de me confiner dans mon appartement le mercredi, histoire de faire semblant d'avoir quelque chose à faire de mes journées. Déjà que les autres bénévoles me regardent de travers, alors je me suis dit que je pourrais au moins éviter d'alimenter leurs ragots en me faisant passer pour le gars trop impliqué qui n'a rien d'autre à faire. Seulement, au bout de trois heures de jeux vidéos et deux heures de cuisine acharnée pour des cookies brûlés, je me suis rendu à l'évidence : quand Sacha n'est pas là pour me partager ses problèmes, je suis forcé de me concentrer sur les miens.
Aussi, après une longue réflexion, j'ai décidé d'aller rendre visite à ma mère. Je sais très bien que je vais le regretter, d'ailleurs je le regrette déjà alors que je ne suis même pas encore arrivé. Seulement, après ça, je sais que je me sentirais si mal que j'aurais besoin de Sacha. Ça me forcera peut-être à m'excuser.
Quand je pénètre dans le lotissement, je remarque que les voisins rivalisent toujours plus d'imagination pour impressionner les autres. Le lilas des Lemaître est en fleur alors que ce n'est pas du tout la saison et la porte ainsi que les volets des voisins du bout de la rue ont été entièrement repeints.
Mon cœur se serre quand je me rends compte qu'ici, les apparences sont toujours aussi importantes. On se sourit aux barbecues, on offre des muffins aux voisins pour les anniversaires et on échange des banalités quand on se croise en sortant les poubelles. Par contre, ce qui se passe à l'intérieur des différentes maisons, on en parle jamais.
Jamais.
Après m'être garé à cheval sur le trottoir – il faut bien que les voisins sachent que je suis toujours un sale gamin –, je claque ma portière et remonte l'allée bordée de sapins taillés à la perfection. Le cœur lourd, je remarque que l'un d'eux manque sur le coté. Visiblement, les fêtes de Noël sont déjà dans toutes les têtes de cette maison.
Une fois sur le perron, je prends le temps d'essuyer mes mains moites sur mon jean et de prendre une grande inspiration. Je sais que ça sera difficile. Je le sais.
Alors pourquoi est-ce que tu es là ? me souffle ma putain de conscience.
Les secondes qui suivent mes coups à la porte semblent durer une éternité. Ils retentissent dans la maison comme un écho, puis des voix résonnent et des pas pressés retentissent. Puis la porte s'ouvre lentement, comme pour faire durer un plaisir fondamentalement cruel.
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Forelsket
Romance[Roman préselectionné aux Wattys 2021 & Wattys 2022] En grec ancien, Callisto signifie "beauté". Eden, lui, aurait plutôt choisi "maladroite" ou "gaffeuse" en ce qui concerne sa nouvelle collègue. En effet, cette fille est une vraie catastrophe : le...