Forelsket

Chapitre 9

CALLISTO

Vous savez ce moment où vous êtes triste, mais vous ne savez pas pourquoi ?

Je déteste quand ça m'arrive, tout simplement parce que c'est si rare que je ne sais pas gérer cette situation. Je suis d'un naturel optimiste, joyeux et positif. Les sentiments négatifs, la musique déprimante et le pot de glace devant la télé – seule Bridget Jones fait ça, d'abord –, je suis bien contente de ne pas connaître. Pourtant, depuis deux jours, j'ai l'impression d'être une machine passée en mode off.

Je tourne au ralenti. Comme les partiels sont passés, j'ai eu le droit à un répit d'une semaine sans réels travaux à rendre, en commençant plus tard et en finissant plus tôt. J'aurais eu tout le temps de faire les activités dont je me plains de n'avoir jamais le temps de faire habituellement comme nettoyer les carreaux des cinq fenêtres de l'appartement, faire un crumble aux pommes ou envoyer des fleurs à ma mère. Seulement, je n'ai pas eu la force d'être productive et j'ai passé la semaine dans mon lit à regarder des vieux épisode de Glee, bien calée contre Cam qui s'endormait une fois sur deux avec ses écouteurs en révisant ses cours.

Elle a tout de suite remarqué que quelque chose n'allait pas, mais elle n'a pas voulu remuer le couteau dans la plaie et s'est contentée d'être là, prête à m'écouter si j'avais envie de me confier. Seulement, je ne vois pas ce que je pourrais lui dire.

Je pourrais probablement aborder cette soirée catastrophique avec Eden, mais je sais qu'elle m'en voudrait de ne pas lui en avoir parlé avant. Je pourrais lui dire que je m'en veux d'avoir cru qu'il se cachait quelque chose de bon derrière toute cette couche de haine et de froideur, mais que j'ai visiblement eu tort.

C'est un menteur, et je suis allergique aux menteurs.

Je pourrais aussi dire à Cam que voir mes parents ce week-end ne m'a pas du tout aidée à positiver. Ma mère était épuisée à cause du nouveau petit qu'elle garde, qui semble avoir été traumatisé par sa précédente famille d'accueil et qui fait des terreurs nocturnes et des crises de panique à répétition. Il a d'ailleurs été mort de trouille lorsque Camélia et moi avons voulu nous présenter, et il s'est enfermé dans sa chambre tout le reste de votre visite. Étant une véritable éponge à sentiments, j'ai eu mal au ventre pendant des heures en pensant à tout ce qu'il avait du endurer pour se renfermer ainsi.

Le dimanche matin, quand mon père m'a fait un café au lait et que nous avons dégusté les crêpes parfumées à la violette de ma mère, j'ai sincèrement eu un gros coup de blues. Vivre avec eux tous les jours me manquait et les années passées à leurs côtés me paraissaient déjà trop loin. Certes, j'avais eu hâte de prendre mon envol ; seulement, maintenant que c'est fait, ce n'est plus tout à fait la même chose. Parfois, j'ai juste envie d'avoir seize ans de nouveau et que ce soit l'été, que je tombe amoureuse comme je suis tombée amoureuse, que j'aille à la plage avec Camélia dans la maison de ma tante, que je gagne mon père aux échecs et que ma mère me réveille le matin en me faisant des bisous sur le nez.

En fait, je crois que je viens seulement de me rendre compte à quel point on se rend compte de la valeur des choses une fois qu'on les as perdues. J'ai toujours détesté cette expression – quand on se fait laisser tomber et qu'une personne ne revient pas, on se dit « merde, je n'avais vraiment aucune valeur alors » – mais aujourd'hui, elle prend un sens différent à mes yeux.

Et ça me fait mal de me rendre compte que les choses changent continuellement, pas toujours pour le mieux.

Les muscles endoloris, je repousse ma couette et me force à m'asseoir, histoire de me déculpabiliser pour les heures que j'ai passées allongée sans bouger sous les draps. Je tends alors les bras pour essayer d'atteindre mes orteils avant d'abandonner dès le premier essai, ayant trop mal partout. J'aurais voulu être souple, sincèrement, mais je n'ai jamais eu le courage de m'y mettre vraiment.