Chapitre 10

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Taina

Il faisait beau, assez chaud, les yokais sortaient de leur hibernation, les végétaux bourgeonnaient, la neige fondait. C'était le printemps. Dans cette période de l'année les missions de Résistance se faisaient plus nombreuses qu'en hiver. Les sit-in aussi, mes parents y participèrent, ces jours-là j'étais assignée à la garde des deux yokais qui me servaient de petits frères. J'aimerai aussi aller à ces événements mais mes frères étant trop jeunes mes parents voulaient qu'ils restent à la maison, surveillés. Je leur avais suggéré plusieurs fois de les faire garder par Ursa et ils me rappelaient sans arrêt ce que j'oubliais...ou ce dont je ne voulais pas me rappeler : elle était en deuil.

Ça faisait six mois qu'Ele'i nous avait quitté, j'avais fini par le comprendre il y a bien longtemps. Elle aussi, mais après plusieurs jours. Mais comme le veut malheureusement le deuil, elle avait commencé a penser que c'était de sa faute, à ressentir de la culpabilité. On lui répétait qu'elle n'y était pour rien, mais sa colère envers la mort grandissait. Elle n'en pouvait plus de vivre chez nous, elle voulait être indépendante. C'était compréhensible mais ses sauts d'humeur étaient durs à encaisser et ses excès de parole d'autant plus. On essayait tous d'être le plus tolérant même si parfois la colère qu'elle déversait sur nous se retournait contre elle et des disputes surgissaient mais s'arrêtaient vite et facilement.

Comme avant et plus que tout elle voulait retourner dans son machiya, plein de souvenirs. Même si elle le voulait de tout son cœur, Ursa ne pouvait pas retourner y vivre, les gravas restant avaient été balayés par les samurais pour laisser un terrain vierge. Le machiya n'était plus que cendres et ruines, impossible d'en faire quoi que ce soit, le seul moyen était de complètement reconstruire. Mon ancienne nourrice c'était mis à essayer de racheter le terrain, malgré le fait que c'était tout bonnement de la folie, beaucoup trop cher pour ce qu'elle possédait en poche. Elle poursuivait son deuil en passant dans une phase dite de marchandage, elle négociait comme elle pouvait pour ce terrain et plein d'autres choses, elle négociait tout.

Le pire, c'était la dépression dans laquelle elle était depuis quatre mois maintenant. Elle ne nous parlait presque pas mais rien que son allure, son visage, le regard qu'elle avait, faisaient peine à voir. On la soutenait tant qu'on pouvait, on avait surtout peur que l'idée de commettre le pire lui traverse l'esprit. Heureusement on avait bientôt fini ce deuil, en réalité, nous, on avait fini notre deuil bien avant elle. Mais devoir gérer le sien était tout aussi épuisant mentalement. Ursa était en train de guérir de sa dépression, petit à petit, à son rythme. On était tous différents, et puis là il s'agissait de la mort de son mari, il était normal qu'elle le vive bien plus mal que nous tous.

Depuis quelques temps elle se sentait mieux et entrait apparemment dans l'acceptante. Elle acceptait et comprenait vraiment maintenant, que son mari ne reviendrait plus. Elle faisait avec, elle fera avec.

C'était un de ces jours, où la famille, sauf les jumeaux et moi-même, était à un sit-in en ce moment même, devant une bibliothèque pour Mikazukis. N'oublions pas qu'ici l'accès à certains documents et livres était réservé à certaines personnes. J'étais alors seule, avec les deux, et Ursa, sans oublier le petit qu'elle portait. Il allait bientôt nous rejoindre, pour le meilleur ou pour le pire. Il est sûr que la grossesse endeuillée d'Ursa n'avait surement pas été celle dont elle avait rêvée mais c'était bien celle qu'elle avait vécue.

"Ursa ?"

Elle tourna la tête dans ma direction.

"Il arrive dans combien de temps ?" Demandai-je en pointant du doigt son ventre rond.

Elle sourit tendrement en le caressant de sa main tatouée. "Selon le médecin dans environ deux mois mais sûrement moins, on ne sait jamais."

Je souris en reposant mon menton dans ma paume.

RakuenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant