Chapitre 5

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Ne m'en veuillez pas, indulgents lecteurs, si je vous parais radoter. Car je ne dirais jamais assez combien est pénible le travail de la ferme. Ce qui est encore plus pénible que le travail de la ferme c'est d'y travailler en étant obligé d'y vivre aussi ! Surtout quand on ne peut se permettre aucune sortie de quelque sorte que ce soit.

Maintenant imaginez un peu cette même vie ainsi décrite, partagée avec une personne qui n'échange avec vous, en toute une journée, qu'un nombre de mots n'excédant guère celui des doigts d'une main. vous aurez alors une idée de ma vie, durant mon premier mois dans la ferme de la Dune.

Je finis par m'habituer à la rudesse du travail et à l'économie de la nourriture, et mes journées en devinrent un peu plus raisonnables. Je me mis à espérer, alors, une vie un peu plus douce et un peu moins réduite au cycle ininterrompu : sommeil suivi de labeur suivi de sommeil. Je déchantai vite, car mes calculs ne tenaient pas compte de la nature, renfermée à l'extrême, de mon hôte et désormais patron.

En effet, mes soirées récemment et chèrement acquises ne tardèrent pas à devenir longues et ennuyeuses. Je dus assez vite me résigner à les passer dans mon lit. Tous les soirs, écoutant à travers les murs ce qu'ils voulaient bien me laisser entendre des activités nocturnes de mon jeune patron, j'attendais un sommeil qui me snobait et se faisait désirer.

Cette routine semblait devoir durer éternellement, à moins que je ne la supportasse plus et décidasse de partir. Cette dernière résolution commençait à faire son chemin dans mon esprit, lorsqu'un événement inattendu se produisit.

Un soir, alors que j'attendais mon sommeil capricieux, j'entendis une flagrante détonation. Elle vint du côté de la grande salle. Je me levai et me précipitai dans le noir, tâtant les murs et trébuchant presque à chaque pas. Les lieux étaient encore éclairés. Plusieurs chandelles y étaient disposées pour couvrir de leur lumière l'ensemble de la pièce. Une fumée blanchâtre se répandait encore dans l'air et des morceaux de pots cassés jonchaient le parterre en bois. Au milieu des débris, gisait Layth, face à terre et inerte.

Mon premier réflexe fut de porter le garçon pour l'éloigner des vapeurs dont l'odeur âcre ne m'inspirait rien de bon.

Tout en le portant sur mon dos, je tendis une main et pris une des chandelles pour éclairer mon chemin. Arrivé dans sa chambre, je posai Layth sur son lit. Il respirait toujours. Sa respiration était régulière, mais il était toujours inconscient. J'inspectai son corps et fus soulagé de n'y trouver aucune blessure.

Cette nuit-là, assis sur une sorte de fauteuil en bois et paille tressée, je veillai au chevet de mon jeune hôte jusqu'au petit matin.

Alors que je fournissais un dernier effort dans mon combat contre le sommeil, le plus invincible des adversaires s'il en est, Layth ouvrit les yeux. Pour la première fois, je vis sur son visage l'expression de l'enfance. Je lui souris, avant de m'avouer vaincu devant le plus capricieux des compagnons de couche, mon sommeil. 

Je me réveillai un peu avant midi, toujours sur le même fauteuil, que je trouvai ma foi fort confortable. Layth n'était plus dans son lit. Après m'être levé et avoir fait mes ablutions du matin, j'allai dans la grande salle. La vaste pièce était propre et rangée. Aucune trace de l'incident d'hier, sinon le sourire avec lequel Layth m'accueillit.

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant