Chapitre 24

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Au petit matin, après que tout monde avait fini de déjeuner, Mala et Pha compris, Layth attela Mala et nous reprîmes la route. Je regardai derrière moi. Pha était dans la charrette. Il paraissait en forme. Il me regarda comme pour me saluer, et je répondis de mon plus aimable bonjour. Je projetai encore ma vue au second plan et je vis le passage des brigands s'éloigner au pas de notre chère Mala, qui était toujours aussi rapide le matin. Au dessus de la colline, un cerceau de vautours faisait du surplace.

Nous n'avions pas beaucoup roulé avant de tomber sur un point d'eau. Nous bûmes, nous nous rafraîchîmes et fîmes nos réserves d'eau et d'herbes grasses pour Mala.

A midi, Gala nous apparut au loin, au pied de la montagne, mais il restait encore une demi-journée de marche avant de l'atteindre. Nous décidâmes donc de ne plus faire halte, pour pouvoir y entrer avant la tombée de la nuit, c'est-à-dire avant la fermeture des portes de la cité. Layth pressa donc Mala, qui semblait avoir compris l'enjeu, car sa cadence de marche augmenta encore. Pha aussi semblait vouloir nous faciliter la tâche. Il descendit de la charrette comme pour l'alléger, mais Layth lui fit comprendre qu'il devait y retourner, car il n'était pas encore tout-à-fait remis. Le loup obéit à Layth, comme tout le monde le faisait. Nous roulâmes deux heures avant que Layth n'arrêtât la charrette et dételât Mala pour qu'elle puisse souffler. Elle but et mangea un peu, tandis que Pha et moi allâmes nous reposer et tendre les jambes et les pattes à l'ombre d'un buisson, tout près de la charrette. 

Mala avait un caractère de ...mule, mais je suis sûr que cela ne vous a pas échappé perspicaces lecteurs. Elle ne tolérait que Layth pour la toucher, c'était lui qui l'atelait déjà à la Dune quand elle devait m'aider dans la corvée d'eau. C'était lui aussi qui le faisait pendant les trois jours de voyage pour Gala. Il la caressait tout en lui chuchotant de ses mots que seules les bêtes comprenaient, avant de lui mettre l'attelage.

Un peu moins d'un quart d'heure après notre halte, Layth se mit à l'attelage de Mala, signe que la reprise du voyage était imminente. Soudain, une flèche vint se planter dans la peau du cou de la pauvre bête. La flèche passa à quelques doigts de Layth, qui se mit à terre en couchant Mala avec lui.

Pha et moi étions encore assis, nous attendions que le départ fût donné pour nous installer. Nous étions à quelques pas de Layth qui me lança deux fioles. Il devait les avoir toujours sur lui car à chaque fois je ne le vis les prendre nulle part. J'avais compris que c'était pour Pha et moi cette fois-ci. J'en versai une dans la gueule du loup, qui semblait comprendre ce qui se passait, et j'en pris l'autre.

Entre la flèche et le moment où nous bûmes les potions, il n'y eut pas d'autres flèches. J'en conclus donc que soit nos agresseurs étaient entrain d'avancer vers nous, soit ils attendait que nous nous découvrissions.

Les fois précédentes je voyais les hommes avancer vers moi au ralenti et je pouvais à loisir éviter leur coups et leur donner les miens ; mais que faire contre des hommes cachés qui tiraient des flèches. J'en étais à ce point de mes pensées quand Pha se leva et se lança à toute allure à ma gauche. Je le voyais courir au ralenti lui aussi mais ce fut un ralenti digne d'un loup. Au même moment je vis un homme se lever de derrière un rocher vers lequel courait Pha.

L'homme avait à la main un arc armé, qui ne tarda pas à tirer sa flèche en direction de mon ami canin. Je voyais la flèche partir de son arc et fendre l'air devant elle frayant son chemin vers le loup. Alors que je croyais que c'en était fini de lui, Pha fit un saut de travers et évita la flèche. L'homme n'avait pas eu le temps d'en armer une autre que la bête était sur lui. Ce fut un combat de quelque instants au bout desquels seul mon brave ami se releva.

Le rocher n'était pas à plus de cent pas de moi. Je me dis alors que si j'y allais j'aurais une vision excentrée de nos agresseurs, et je pourrais mieux agir que dans ma position du moment. Ces hommes invisibles pouvaient être n'importe où. Je décidai de m'écouter et je partis en courant vers Pha. Je vis alors un autre homme surgir de derrière un autre rocher, toujours un arc à la main. Il était encore entrain d'armer lorsque je lui lançai ma hache qui l'atteignit en plein œil.

Je n'étais pas encore arrivé jusque Pha que je vis Layth à ma droite se lever et se diriger vers la charrette. Sûrement pour chercher ses lances, me dis-je.

Il était arrivé à la charrette, me tournant le dos, quand je vis à une cinquantaine de pas surgir un homme, mais l'arc de celui-là était déjà armé, et le cible de sa flèche n'était autre que mon jeune ami. Je n'avais plus ma hache, mais elle n'aurait pas eu le temps d'atteindre l'homme avant qu'il tirât, l'eussé-je atteint à cette distance, ce qui eut été peu probable.

C'est drôle la vitesse avec laquelle un esprit fonctionne dans pareilo moments. En quelques instants, si on devait les mettre par écrit, on produirait bien un volume entier de pensées et de sentiments. Le plus dur parmi cette foule emmêlée de d'idées et de sensations était la frustration, la frustration devant l'incapacité, devant l'inévitable qui était entrain de se produire, malgré moi et devant mes yeux. Savoir qu'un terrible événement va se passer devant vos yeux, sans que vous puissiez l'empêcher ou le retarder ; savoir que tout ce qui vous reste est de vous contenter de regarder se passer, ou alors choisir de fermer les yeux ; l'un ou l'autre de vos choix ne changeant rien au dénouement imminent ; vous vivriez alors la pire des épreuves qu'un être humain puisse subir.

Pour que vous compreniez ce qui arriva après ces instants, chers lecteurs, faut-il que je vous décrive la scène du drame qui se nouait. Layth était près de la charrette, le dos tourné vers moi. Votre dévoué étais entre l'homme et Layth, à un pas ou deux de la ligne de vision qui les reliait. Quant à Pha, il était un peu plus haut entre moi et l'homme, de l'autre coté de cette même ligne de vision, à quelques pas d'elle.

Je vis Pha se lancer vers l'homme au même instant que celui-ci lâcha la corde de son arc. Sans réfléchir, je me jetai aussitôt sur la trajectoire de son projectile, que je voyais arriver à ma rencontre. Je ne sentais ni peur ni angoisse. Au contraire, j'avais l'âme paisible et le cœur léger de savoir que Layth serait sauf, du moins qu'il ne serait pas tué par cette flèche-là

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant