Layth ne me quitta point des yeux, pas un seul instant, du début de mon récit jusqu'à sa fin. Il continuait même à sonder mon regard un long moment après que je me tus.
Comme je n'avais ni offensé la vérité ni omis un fait majeur, je soutenais son regard et attendais qu'il rompît le silence.
-Je te crois fils de Sam. Je te crois et je compatis à tes malheurs, bien que toutes les compassions du monde ne suffisent pas à en atténuer à un seul sa douleur ... et Dieu sait s'il y a si peu de compassions comme il y a tant de malheurs dans ce bas-monde. Tu m'as découvert ton passé alors il n'est que de justice et de morale que je te découvre le mien.
Justice et morale, me répétai-je en entendant ces mots. Des châteaux de sable qu'un monde met des siècles à construire, pour que la première tempête les emporte et les en fasse disparaître.
– Voici mon histoire !
Dit Layth, d'un timbre au dessus, comme s'il avait deviné l'errance de mon esprit et avait voulu le ramener entre mes oreilles, puis il entama son récit:
- Mon passé est un peu plus court que le tien certes, mais il n'en est pas moins chargé de joies immenses couvertes de peines toutes profondes. Cependant, je te laisse juge de l'étrangeté de ma naissance, ainsi que des circonstances qui l'entourèrent, et qui me furent racontées par feus mes parents, en deux versions bien concordantes.
Je naquis il y a seize ans, à l'aube d'une journée bien ensoleillée, précédée d'une nuit toute orageuse, d'après ce qu'on me raconta. Quelques mois avant ma naissance, mes parents reçurent la visite inattendue d'une vieille tante qui avait la réputation d'être une recluse, et nullement celle d'une femme prompte à parcourir une telle distance, pour rendre visite à des parents dont elle ne se souciait guère auparavant.
Mes parents furent certes surpris de sa visite, mais l'accueillirent comme il se doit d'accueillir un membre de la famille. Ils furent d'autant plus surpris qu'elle les informa qu'elle allait rester chez eux un bon bout de temps.
Mon père comme ma mère la décrivaient comme une dame charmante, aux manières d'être et de parler peu conventionnelles, pour ne pas dire étranges.
On me raconta qu'il n'en fallut pas moins des deux paires de bras de mon père et du cocher qui l'emmena, ainsi que de plusieurs aller-retour entre la diligence et la maison, pour décharger ses bagages. On précisa que tous ces sacs, coffres et malles ne contenait ni vêtements ni cadeaux.Tu te poses peut être la question du lien de ma tante avec mon histoire et de la pertinence de m'être attardé sur son sujet. Garde patience et tu en seras récompensé.
Bien qu'étant une parente du côté de mon père, ma tante portait toute son attention sur ma mère. Elle l'obligeait presque à rester assise tout le temps, vaquant elle même aux tâches habituelles de sa protégée désignée. Aussi lui préparait-elle ses repas de ses propres mains. C'étaient des repas qui lui étaient exclusivement destinés, et qu'il était interdit aux autres de toucher. Entends par les autres mon père et mes deux sœurs, pour qui elle préparait un tout autre repas.
Ma mère racontait que lorsqu'elle lui servait ses repas, délicieux disait-elle, la noble dame lui caressait le ventre en disant : mange mon petit, sans vraiment que l'on sache à qui s'adressait-elle.
Elle disait aussi que ces fameux repas ne ressemblaient en rien à ce qu'elle avait mangé ni auparavant ni plus tard. Elle était certaine que les ingrédients ne venaient pas de la ferme, du moins pas de la nôtre, ou alors pas la majeure partie en tout cas.La veille de ma naissance était une pleine lune. Ce fut ma tante qui veilla ma pauvre mère, bien que celle ci dormît à poings fermés.
La vieille dame était certaine que j'allais naître ce jour-là, et elle ne garda point sa certitude pour elle ; tout au contraire, elle n'avait pas arrêté de la clamer haut et fort : C'est demain qu'arrive le petit ! C'est demain le grand jour!Au prémices de l'aube, et comme ce fut prédit, je passais du ventre de ma mère aux bras de ma tante. Ce fut elle qui me nettoya et me prépara, avant de me ramener dans les bras de ma mère.
Mon père jura que ma tante m'avait susurré des choses dans l'oreille droite, puis dans l'oreille gauche, avant de me remettre à ma mère.Deux mois après ma naissance, cette étrange dame nous quitta pour rentrer chez elle, non sans avoir donné des consignes strictes à mes deux parents, qu'elle prit à part, chacun à son tour.
Durant ces deux mois, Elle avait continué à soulager ma mère de toutes ses corvées, ainsi que de lui préparer ses repas. Ma mère n'arrêtait pas de dire combien elle regrettait la présence de tante Zéphyr, car c'était son prénom ; elle ne la regrettait pas uniquement pour ses repas délicieux, s'amusait-elle à dire, avec son sourire si particulier.
Mon jeune hôte fit une pause, sa voix commençait à trahir ses émotions et il n'était pas homme à laisser paraître une telle faiblesse.
Quand elle rentra chez elle, continua-t-il, Tante Zéphyr ne prit aucune des malles qu'elle avait apportées. Elle laissa tout à mes parents, en confiant à chacun d'eux la partie qui le concerne et les instructions qui vont avec.
Peut-être n'ai je pas mentionné que j'étais le troisième et dernier de ma fratrie, et que j'avais deux grandes sœurs que j'appris à chérir depuis l'âge où un homme apprend à chérir les siens, et qu'elles me chérissaient encore plus.
Je grandissais entouré d'amour parental et fraternel, ainsi que de soins prodigués à distance par ma chère tante, à travers ce qu'elle laissa comme matière et consignes.
Les années s'écoulèrent, et je grandissais à leur rythme, sans jamais m'être plaint d'un quelconque mal ou autres faiblesses. Je n'ai donc souffert d'aucune des maladies infantile, aux grands soulagement et étonnement de mes parents.
Je sentais mes forces et ma forme grandir presque tous les jours. Mon père n'hésitait pas à me donner des tâches qu'on ne donne pas d'habitude à un enfant de l'âge que j'avais, au grand désarroi de ma pauvre mère ; car pour elle, je n'étais jamais assez en forme et n'avais jamais assez de force, sinon pour rester près d'elle et jamais à l'abri de son regard. Les choses continuaient de la sorte jusqu'au jour de mes sept ans.
Le jour même de mon septième anniversaire, il se présenta à mon père, un homme se réclamant de la part de ma tante Zéphyr et portant une lettre écrite de sa main.
Dans sa lettre, l'étrange dame exigeait qu'on le logât dans la ferme et qu'on lui laissât toute latitude dans mon éducation. Elle accompagna sa lettre d'une somme d'argent si importante, que mon pauvre père se posa mille questions sur les intentions de ma tante et de son émissaire qu'elle nous imposait. Toujours est-il, que mon père suivit les nouvelles recommandations de ma tante comme il avait suivi les précédentes.
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ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)
Teen FictionLayth est un jeune homme qui a certes à peine 16 ans, mais sa valeur n'a pas attendu le compte de ses années. Suivez-le dans cette épopée qui changera sa destinée, ainsi que celle de tout son monde. Les pires moments d'un monde, comme les plus merve...