Chapitre 21

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Layth ne se rendormit pas. Il vint s'asseoir près de moi. Je savais qu'il allait parler. Il n'était pas homme à chercher la compagnie d'autrui. Il s'était donc assis près de moi pour me parler, mais de quoi ?
Je n'avais pas terminé ma pensée que j'en fus tiré par la voix douce et ferme de mon compagnon.

- Tu dois te poser mille questions, à propos d'autant de sujets. Je n'en ai peut-être pas toutes les réponses, mais je veux bien t'éclairer sur certains faits de ce qui s'est passé à la Dune, précipitant ce voyage que nous espérons le moins périlleux possible.

Bien-sûr que j'avais autant de questions, dont je n'avais que des bribes de réponses, mais je n'allais sauter ni de joie, ni au cou de Layth. Un enfant l'aurait peut-être fait, mais l'enfant en moi avait plié bagage depuis un temps qui me semblait éternel ; un départ tout précipité par tous les événements que j'avais vécus et vivais encore.
L'aînesse chez les humains confère un stupide devoir de retenue, qui n'est point exempt de d'un certain sentiment de supériorité. Comme si le fait d'être né antérieurement - un fait tout empirique disons le - pouvait rendre supérieur en quelque façon que ce soit.

Ce presque instinct doit nous rester de l'époque où les gens vivaient beaucoup moins longtemps que nous : Survivre une année de plus devait faire alors figure d'exploit et de critère de supériorité ; à moins que le ciel ne nous l'ait ancré, pour que l'autorité d'un parent ou celle d'un maître ne soient point bafouées ; il nous aurait alors laissés gérer ce don, comme tant d'autres, innombrables, que nous ne faisons que dénaturer et tourner à leurs pires usages.

J'attendis donc qu'il continuât, en me contentant de me tourner vers lui pour le regarder dans les yeux. Je ne sais s'il lisait l'impatience dans les miens, dans cette lumière de début de l'aube. Toujours est-il qu'il finit par continuer.

Les hommes que nous tuâmes n'étaient ni des voleurs ni des pilleurs. Tu le savais, tu l'avais remarqué. Cependant, ce que tu ne sais pas, mais tu t'en doutes peut-être, c'est qu'ils étaient venus pour me tuer. Je ne t'expliquerai pas pourquoi une bande de sept hommes, bien-portants et bien armés, viendraient tuer un jeune homme comme moi. Il n'en est pas encore temps. De toute façon tu ne tarderas pas à le comprendre, si nous survivons assez, toi et moi.
La lettre que tu as traduite expliquait tout, pourvu que l'on sache lire ! Finissait-il, avant de tourner son visage et regarder à nouveau devant lui.

Il ne vit pas dans mes yeux l'étincelle de colère que déclencha sa dernière phrase.

« Pourvu que l'on sache lire » ! Suis-je sensé savoir que cette lettre parlait de lui ?! Sais-je qui est-ce le Behram moi ?! Et puis que vient faire Hod dans toute cette histoire ?! Et surtout, toujours la même question qui fuit sa réponse pour ne pas sortir de mon esprit : que diable faisons nous ici ?! Où diable allons nous et pourquoi faire !
Compte-t-il s'en sortir en me saturant la tête avec davantage de questions?! alors qu'il ne me donne autre chose que des miettes pour répondre à celles qui me torturaient déjà?! Il se trompe ! Et je ne vais pas tarder à le lui faire savoir ! Telle était la cacophonie de pensées qui emplissait mon esprit à cet instant-là

- Qui est-ce, ce Behram ? Dis-je en essayant de contenir ma colère du mieux que je pouvais.

- C'est moi le Behram. Il vaut mieux que cette réponse te convienne, car tu n'en auras pas d'autre à ce sujet, et toute ta colère n'y changera rien. Tu découvriras qui est vraiment le Behram tout seul ou alors tu ne le sauras jamais. Ta colère est compréhensible, mais elle t'est dictée par ton ignorance de certains faits, dont je ne suis pas autorisé à te parler. Par qui n'y suis-je pas autorisé? Cela fait partie de ces faits-là. Répondit-il d'un ton ferme certes, mais qui ne signifiait pas forcément la fermeture de la discussion.

- Entendu pour le Behram, pour le moment ! Mais ce n'est pas le seul élément de la lettre que je n'ai pas su lire, comme tu disais ! Qu'elle était cette carte, et surtout pourquoi as-tu tant tenu à la reproduire ? Et que fait Hod dans toute cette histoire ? Dis-je d'un ton que je voulais calme et qui le fut à peine.

- La carte était une indication pour mener mes agresseurs à moi. Je l'ai copiée pour pouvoir remonter l'itinéraire de ces hommes. Une carte n'indique pas seulement où va celui pour qui elle fut dessinée, mais elle indique aussi d'où vient-il.
Quant à maître Hod, je ne suis encore sûr de rien. Toutefois, puisqu'il est impliqué dans cette histoire, comme tu l'as bien remarqué, je ne pouvais pas me contenter de me poser cette question qui te torture, il m'en fallait d'abord la réponse, et ce voyage n'en est que la quête, entre autres.

Layth se tut et se leva, signifiant qu'il ne dirait rien de plus, et clôturant ainsi la discussion.

Je dus m'avouer que, bien que les choses fussent loin d'être claires dans mon esprit, elles étaient bien moins incompréhensibles, et je me sentais libéré d'une partie du poids qui me pesait jusque là.

Peut-être que Layth, sur certaines choses, savait beaucoup mieux que moi, mais l'essentiel de l'inconnu de ce voyage était partagé.

Je sais que partager une ignorance n'aurait pas dû me rassurer davantage. Mais que voulez-vous, l'être humain est ainsi fait, ou peut être le devient-il par son cheminement et les choix qu'il y fait. On convoite les choses de l'autre, fussent-elles nuisibles, et l'on ne se sent bien que lorsqu'on aura eu l'objet de sa convoitise. Une course effrénée que l'on se mène les uns aux autres pour accaparer des choses, tout en étant certain qu'un jour on abandonnera tout, y compris ce que l'on croyait à jamais acquis et inaliénable : son corps.
C'est la course à l'égalité diraient certains ! Mais cette égalité n'est elle pas mesurée par la quantités de choses ou de savoirs ou encore d'attributs que possèdent les uns et les autres ? Une quantité somme toute potentiellement infinie ?
Si tel est le peson de l'égalité alors elle est chimérique et inaccessible, et la course à sa recherche est peut-être la source de tous les malheurs de l'homme.
Ne faut il pas, plutôt, poser un périmètre aux critères d'égalité ? Un périmètre qui contiendrait un nombre limité de choses essentielles, réalistes et accessibles à tous, qu'une fois l'on aura possédées on pourra dire que l'égalité fut atteinte ?

Je te prie de m'excuser cher lecteur pour ce long égarement. C'était pour dire que partagez une ignorance c'est savoir qu'il n'y a rien à convoiter d'avantage, et cela rassure !

( Un chapitre plus long que d'habitude. Dites moi si ça convient mieux, ou pas!
Merci pour vos lectures, votes et commentaires)

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant