Chapitre 16

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Quitter un foyer chaud, sûr et pourvoyeur peut sembler une folie en temps normal. Dans les temps où nous vivions, même les fous à lier ne l'auraient pas fait ! Pour ma part, je savais pourquoi je quittais la Dune, au risque de ne pas y survivre plus d'un jour ou deux. Je le faisais pour Layth, pour ne pas le laisser affronter seul l'horrible monde qui nous attendait en bas de la colline.
Par contre, je n'avais aucune idée de ce qui avait pu pousser Layth dans cette folie. A aucun moment je n'avais tenté de connaître le but de ce voyage qui me paraissait si insensé. Je n'avais jamais tenté de l'en dissuader non plus. 

On ne tirait pas à Layth les vers du nez. S'il décidait de s'expliquer il le faisait, sinon on choisissait de le suivre ou de s'en abstenir. Il fallait renoncer à demander une explication qu'il ne jugeait pas nécessaire de donner, et il ne se sentait jamais redevable d'une quelconque explication quand il n'avait pas choisi de la donner spontanément. C'était ainsi et pas autrement.
Quant à le dissuader d'une entreprise qu'il avait décidée, c'était tout simplement impossible, tant il ne prenait pas ses décisions à la légère, et surtout, tant on se sentait désarmé face à sa force d'argumentation et de persuasion. Il paraissait n'avoir rien laissé au hasard ou autres aléas de la fatalité. Il paraissait tout bonnement ne jamais devoir échouer.

J'attendais donc que Layth daigne décider de m'expliquer le pourquoi et le comment, et surtout la destination de ce périlleux voyage. Dans les temps qui couraient toute sortie de chez soi était périlleuse.

J'avais bien compris que la lettre était à l'origine de ce saut dans l'inconnu, mais bien que je fus le traducteur de cette fameuse lettre je n'y comprenais presque rien. Ces faux brigands étaient-ils venus pour tuer Layth? Et pourquoi ? Qui est alors le Behram et que venait faire Hod dans l'histoire. Pourquoi Layth tenait-il à copier cette carte et où mène-t-elle? Enfin, revient la question première, comme dans un cycle sans fin, pourquoi Layth fait-il ce voyage, et où nous emmène-il? 

Beaucoup de questions et si peu d'éléments pour en trouver la moindre réponse. Voilà où j'en étais dans mes pensées lorsque Layth m'en tira, en donnant à Mala le signal du départ.

La charrette s'ébranla, laissant derrière elle la chère Dune. Je tournai la tête et la regardai, comme si je voulais conserver en moi une dernière image de cet endroit que je chérissais tant, plus même que je n'ai chéri aucun autre endroit. Je continuai à la regarder jusqu'à ce que ses fins détails disparussent. Le cœur serré et l'âme triste, je regardai alors devant et je ne vis que du brouillard, qui enveloppait tout jusqu'à quelques pas devant Mala. Cette image paraissait illustrer mon sentiment sur ce voyage à peine commencé. Il me sembla aussi que la nature approuvait mes craintes et cherchait à me le faire savoir, dans son propre langage. 

Je regardai Layth, son visage était grave et décidé. Je me dis alors que ce jeune homme était l'être le moins inconscient qu'il me fût donné de connaître. Je me dis aussi que cette entreprise n'avait pu être décidée que pour une noble quête. J'en conclus enfin que cette cause, Layth était seul à la connaître certes, mais s'il avait choisi de l'embrasser c'est qu'elle était assez digne pour mériter le sacrifice de deux hommes tels que nous.

Aussi me sentis-je beaucoup mieux, et lorsque je regardai à nouveau droit devant moi, je remarquai que le brouillard était un peu moins dense qu'auparavant.

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant