Chapitre 9

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Layth continuait son récit :

- Je l'appelais Maître Hod, car Il se nommait Hod, cet étranger qui fit irruption dans ma vie, et dans une bien moindre mesure dans celle de ma famille. Mon maître, il l'était durant cinq ans et il le restera tant que je vivrai.

Mon père installa maître Hod dans la pièce que tu occupes à présent, et il dormait dans le lit devenu le tien ; sauf que lui, il n'avait point de poux et il sentait plutôt bon, continuas Layth avec un ton plaisantin que je ne lui connaissais guère.

Il fit passer avec le sourire cette remarque qui, pour ne point être inédite, fut dite avec une jovialité toute nouvelle de sa part. L'histoire des poux et de la puanteur reviendra encore sur les lèvres de Layth, mais jamais devant un tiers, et toujours pour en rire, lorsque nous en avions besoin tous les deux.

Maître Hod n'était pas tendre avec moi, continua-t-il, du moins avait-il une idée et une façon de la tendresse dignes de ses étranges manières.
Il me réveillait avant l'aube, il me faisait faire mes ablutions, puis nous sortions, qu'il vente ou qu'il neige.

Je devais d'abord m'acquitter des tâches habituelles que mon père m'avait désignées auparavant. Mon maître les appelait les corvées. Une fois ces corvées acquittées, nous nous mettions à jouer aux armes.

Plusieurs sortes d'armes y passaient, de l'épée au couteau, en passant par la hache. Cependant, mon arme préférée fut le bâton - auquel j'excellais, selon mon maître - jusqu'à ce qu'il ait mis une lame au bout et que j'aie découvert la lance.

J'étais devenu tellement bon au maniement de la lance, que mon maître disait que je maîtrisais une arme parfaite. Il ajoutait tout-de-même que, si je devais m'en séparer en la lançant ou la brisant, je serais alors démuni, à moins de maîtriser les armes de combat au corps à corps. Je dus donc travailler davantage à l'épée, à la hache et au couteau.

Tout cela se déroulait dans la matinée, à jeun, six jours de la semaine sur sept.
À part le jour du seigneur, où on ne le voyait guère, mon maître tenait à ce que je prenne le repas de la journée avec lui. C'était toujours un repas froid, préparé par ses soins, et dont les ingrédients ne venaient pas tous de la ferme, je puis l'assurer.

Après le déjeuner, il m'allouait une heure de repos que je dépensais pour voir ma famille et pour mes besoins de toilette. Au bout de l'heure, il m'amenait dans sa chambre où il y avait une table et une seule chaise, sur laquelle je m'asseyais pendant quatre heures, sans en bouger.

Il m'enseignait la philosophie, l'histoire et les mathématiques, mais point de géographie. Elle fut inventée pour séparer les hommes au profit des rois disait-il.

Il disait aussi qu'il valait mieux savoir se retrouver dans ses idées et dans son temps que de savoir se retrouver dans son espace.

Les cochers te conduiront où tu voudras aller, et les voyageurs t'indiqueront ton chemin si tu te perds, aimait il dire ; mais nul ne te dira comment te retrouver dans tes idées ou dans quel monde tu vis, sinon moi, maintenant, en t'enseignant la philosophie, les mathématiques et l'histoire, se plaisait-il à ajouter.

Tout au long des quatre heures, je restais assis. Maître Hod lui, s'animait. Il se mettait debout, s'asseyait sur le lit, puis se remettait debout, toujours en parlant et en gesticulant. Il ne se taisait jamais pendant ses cours, sinon pour respirer et reprendre la parole aussitôt, ou alors pour attendre ma réponse à une de ses questions qu'il posait, avec de la malice plein les yeux.

Il prenait plus plaisir à poser ses questions qu'à dispenser ses cours. Il n'y avait que mes réponses qui lui donnaient davantage de plaisir que de poser ses questions. Il me tapotait alors sur l'épaule et disait : bien, nous avançons, jeune homme, nous avançons. Il me manque maître Hod, ajouta-t-il comme s'il ne s'adressait qu'à lui même.

Cette routine dura trois ans, durant lesquelles je passais mes journées avec mon maître, et mes soirées avec ma famille, bien que je considérasse maître Hod comme un membre de ma famille. Je le considère encore comme tel.

Au bout de trois ans, nos occupations de la matinée continuèrent comme avant, mais après le déjeuner et mon heure de repos, nous ne faisions plus des mathématiques ni de philosophie ni d'histoire, nous faisions de la cuisine.

Ce n'étaient pas des plats que maître Hod m'apprenait à préparer durant les après-midis, mais des potions. Je ne t'en dirai pas plus, ni de quoi ni comment, mais pour l'intégrité du récit je devais te le mentionner.

Pour faire notre cuisine à l'abri des regards, et surtout à l'abri des dangers d'incendie, mon père nous alloua la cabane isolée que tu connais.
Je te dirais seulement que j'appris durant ces deux années ce que très peu d'hommes sont aptes à apprendre, et surtout ce que très peu d'hommes apprirent.
J'ajouterais que le jour où tu verras ce que je sais faire, grâce à maître Hod, tu seras peut-être tenté de t'enfuir loin de moi ; mais maintenant que je te connais mieux je parierais sur le contraire.

Le jour du cinquième anniversaire de son arrivée, maître Hod me serra un long moment dans ses bras, salua ma famille, pris congé et partit. Il avait la larme à l'œil, comme moi d'ailleurs, mais il me promit que nous nous reverrions. C'est écrit jeune homme, c'est écrit, dit-il avant de s'éloigner et disparaître dans la brume de cette triste matinée d'il y a trois ans. Je ne le revis plus depuis.

Après le départ de maître Hod, je continuai à rythmer mes journées comme avant qu'il nous ait quittés : Le réveil à l'aube, le travail des armes, à jeun jusqu'à midi, le repas et le repos, puis la cuisine dans la cabane.

Layth se tut un moment, perdu dans je ne sais quelles pensées. Si seulement je n'étais pas dans cette cabane, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour moi...si seulement...mais c'était écrit...oui c'était écrit.
Quand tu es arrivé tu assistas presque au dernier événement marquant de ma vie, le dernier en date, où je perdis les derniers êtres chers que j'avais et les premiers que j'eus.

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant