Chapitre 15

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Layth m'écouta jusqu'à la fin, sans quitter mon regard du sien. Je ne sais quel voile sur son cœur mes mots déchirèrent, car il y avait une larme qui coulait sur sa joue. Pour la deuxième fois, j'aperçus l'enfant tapi dans ce corps d'adulte. Une tendresse infinie me submergea.

– As tu fini Kalen fils de Sam?! Finit-il par dire d'une voix qui cachait mal son émotion.

– Oui j'ai fini, répondis je.

Il se leva, fit le tour de la table et me dis :

– Lève-toi.

Je me levai. Il avança alors vers moi, me pris dans ses bras, me tapotas de ses deux mains dans le dos, puis il me lâcha et prononça :

– Alors ce sera ainsi mon ami!

A part deux habits qui appartenait au père de Layth, et que celui-ci me donna, je n'avais que mes armes à préparer : une épée, une hache et un couteau qui ne me quittait jamais le jour, et dormait sous mon lit la nuit. Aussi, quand Layth dit que chacun devait préparer ses propre affaires, souris-je de mes plus belles dents. 

– Oui, je sais! dit Layth. Je te donnerai un coup de main pour tes affaires.

Il me fallut un instant pour réaliser qu'il plaisantait. Car ni son visage ni son ton ne l'annonçaient, mais surtout parce-que Layth ne plaisantait jamais ...  Jusqu'à ce jour là ! Nous nous éclatâmes d'un rire franc et prolongé. 

Voir rire cet être que je n'ai connu que triste et grave était, à lui seul, un spectacle des plus réjouissants. Quant à moi, je crois que je n'avais pas ri depuis la mort de ma mère. Non pas que je fus de nature mélancolique, loin de là, mais les occasions de se réjouir avaient déserté ce monde depuis un bon bout de temps.

Les pires épreuves sont celles qui poussent au rire, dit-on. Le premier qui l'eut dit ne devait pas avoir vécu beaucoup d'épreuves, ou alors les siennes étaient-elles loin d'être les pires. Certaines épreuves poussent certes à la folie, mais alors ce serait la folie qui aurait engendré le rire et non l'épreuve! Moi, je dirais que la pire épreuve d'entre toutes est celle qui assèche les larmes et n'en laisse plus aucune à celles qui la suivront.

Il fut donc décidé que je me chargerais de préparer les provisions alors que Layth préparerait ses affaires. Entendez par ses affaires, autre que ses armes et ses habits, toutes les potions qu'il devait prendre avec lui, et qui remplirent à elles seules une malle entière.
Il y eut aussi, parmi ses affaires, le contenu d'une deuxième malle, dont je ne savais rien. La troisième malle, ce fût moi qui la préparai, et elle contenait nos provisions du voyage. La quatrième et la dernière des malles contenait nos habits et une paire de bottes de rechange pour chacun.
Mes deux paires de bottes à moi, celle que je portais et la paire de rechange, étaient, comme le reste de mes habits, données par Layth et ayant appartenu à son père. Le lendemain matin nous quittions la Dune.

À part quelques poulailles tuées pour les provisions du voyages, nous abandonnâmes tous les animaux de la ferme à leur sort, non sans leur avoir laissé de quoi leur suffire pour quelques jours, en eau et en nourriture. Le poulailler fut laissé ouvert ainsi que l'étable. En deux mois, nul ne s'aventura à attaquer la Dune, donc il y avait peu de chance que les animaux profitassent à quelque humain. Il fallait surtout éviter aux pauvres bêtes de mourir enfermées de faim et de soif. Seule la mule nous accompagnerait, attelée à la vieille charrette remise en état par Layth, la veille.

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant