En silence, nous commençâmes à rassembler les corps. J'avais mille questions en suspend. Mon esprit n'arrêtait pas de faire la navette entre mes réflexions et mes interrogations. J'essayais de comprendre, mais je manquais de matière. Mes pensées buttaient constamment contre ce mur opaque, derrière lequel se trouvaient toutes mes réponses et toutes les explications.
Je savais que seul Layth pouvait m'éclairer ; mais je savais aussi combien il était avare d'explications quand il s'agissait de ses potions. Oui, il n'y avait aucun doute dans mon esprit. Ce qui m'était arrivé hier soir était dû à la potion de mon ami.Quand nous finîmes de rassembler les corps, le soleil avait disparu derrière la montagne ; comme s'il en avait eu assez pour la journée, de la folie des hommes ; ces derniers s'ingéniant à la lui montrer depuis presque une année.
Il y a des silences sont des réflexions, et d'autres qui ne sont que distraction. Celui de Layth paraissait toujours être une réflexion, et semblait à chaque fois finir à bon port, cela se lisait sur son visage et dans ses yeux. Cependant, ce soir-là, quand je finis par regarder son visage qui contemplait les corps étendus, je sus qu'il avait presque autant d'interrogations que moi. Son esprit, à lui aussi cette fois-là, avait son propre mur, face auquel il paraissait impuissant.
– Kalen! Finit-il par dire. Tu ne vois rien d'étrange ?
Perdu dans mes propres pensées, je n'avais rien observé, et par conséquent, je ne pouvais rien voir d'étrange. J'observai alors les corps, car il était bien évident que c'étaient eux les sujets de ses interrogations. En effet, plusieurs étrangetés sautaient aux yeux.
Ils étaient propres! Les visages, les barbes, les cheveux et les habits, à par les traces de leur dernière et ultime forfaiture. Ils ne ressemblaient en rien aux pillards crasseux et puants, passant leur temps à voler de quoi les empêcher de mourir de faim.
Ils étaient tous de fortes constitutions, et d'âges rapprochés aussi, ce qui les différenciait encore plus des pillards en bandes hétéroclites.– Ils sont propres ! Beaucoup trop! Finis-je par répondre.
– Déshabillons-les ! Je veux examiner leurs affaires ! Mais creusons d'abord leur tombe...je vais finir par avoir tout un cimetière chez moi.
Sa dernière phrase ne fut qu'une murmure.
Nous mîmes une partie de la nuit à creuser la fosse et ensevelir les corps, après les avoir déshabiller.
Une fois rentré, à peine je m'allongeai sur le lit que je sombrai dans un sommeil profond. J'eus toujours du mal à m'endormir quand une pensée me torturait, mais cette nuit-là, la fatigue eût raison de mes pensées.
Le lendemain matin, dans la grande salle, Layth était en train d'examiner les affaires des infortunés d'hier. La chandelle consommée jusqu'au bout indiquait qu'il avait veillé tard. A-t-il seulement dormi? Me demandai-je.
Je saluai et m'installai face à lui. Une pile d'affaires entassées sur la table m'empêchait presque de voir sa tête.
– Bonjour Kalen! Nos défunts amis n'ont pas fini de m'étonner ! En plus de ce que tu as justement remarqué hier, leurs affaires sont des plus étranges! Dit-il en indiquant un autre tas au pied de la table.
Je me levai et examinai ce qu'il m'avait montré. Il y avait des armes d'assez belle facture. Elles étaient toutes estampillées du même blason du Royaume de l'Ouest, qui se trouvait, comme son nom l'indique, à l'ouest de l'île de l'Aigle, et à nos frontières du même côté. Il y avait aussi des pièces de monnaies, des trois royaumes, en or et en argent.
Beaucoup d'argent pour de simples pillards. Encore une preuve, s'il en est, que l'attaque d'hier soir n'était pas l'œuvre de voleurs affamés, pensai-je.
Un papier enroulé puis enrubanné de soie m'attira l'œil. Je tendais la main pour le ramasser, quand Layth dit :
– N'y touche pas !
Le ton était impératif certes, mais il y avait de la hâte dedans, comme quand on avertit d'un risque important. Je regardai Layth, l'œil interrogateur.
– Le ruban est en soie cirée ! Dit-il, comme si ma réponse se trouvait dans sa phrase, et qu'il n'était point nécessaire d'en dire davantage.
Un ruban de soie cirée?! Négociant de mon état, les deux mots soie et cirée réunis me rebutaient. Pourquoi diable cire-t-on de la soie! Une matière dont la noblesse vient surtout de sa délicatesse au touché ! Pour l'imperméabiliser peut-être ! Mais quel en serait l'intérêt, alors qu'on peut cirer un autre tissu moins noble et moins cher!
– Veux-tu m'expliquer davantage je te prie! Dis-je excédé par mon incapacité.
– Ce papier est sûrement enduit de la main du destin! Répondit Layth d'un ton indifférent, tout en continuant à faire ce qu'il était en train de faire.
– La main du destin ?! Dis-je interloqué.
– C'est un puissant poison incolore et inodore qui pénètre la peau mais pas la soie cirée. Si tu l'ouvres, tu mourras asphyxié dans quelques heures. D'ailleurs je parie que tu ne verras rien écrit dessus. Ajouta Layth, toujours de son ton indifférent.
Je ne dis rien ; non pas parce-que j'avais compris tout ce qu'il disait, mais car je ne trouvais rien d'intelligent à dire ; en tout cas rien qui puisse me faire paraître moins ignorant que je ne l'étais.
Soudain, Layth sortit quelque chose de la poche d'un manteau enlevé à l'un des assaillants. Il l'examina un instant.
– Voilà! Dit-il d'un ton triomphant, en montrant une paire de gants.
– En soie cirée je suppose? Répondis-je d'une question rhétorique.
Pour toute réponse, Layth se leva, enfila la paire de gants et ramassa le papier. Il en déroula le ruban, puis il l'ouvrit. Il n'y avait rien écrit dessus.
Layth alla du côté de la cuisine, toujours le papier à la main. Il ouvrit une armoire et en sortit une fiole dont il versa le contenu sur un chiffon, puis il frotta le papier avec. Sur son visage, se dessina à peine un sourire de satisfaction.
– Toi qui connais la langue de l'Ouest ! Viens voir un peu !
Non mécontent de savoir, pour une fois, ce que mon génie de jeune ami ignorait, j'approchai.
Sur le papier qui paraissait vide quelques instants auparavant, on voyait un texte et des dessins, apparus comme par magie, ou plutôt grâce à la magie de Layth. Je me penchai par dessus son épaule et commençai à lire.
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ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)
Teen FictionLayth est un jeune homme qui a certes à peine 16 ans, mais sa valeur n'a pas attendu le compte de ses années. Suivez-le dans cette épopée qui changera sa destinée, ainsi que celle de tout son monde. Les pires moments d'un monde, comme les plus merve...