Chapitre 25

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On dit que lorsqu'on est près de la mort on voit toute sa vie défiler devant ses yeux. J'ai frôlé la mort tant de fois que je peinerais à les compter, et pourtant je n'ai jamais rien vu de tel. Quand la mort parait si proche, on ne voit que ce que les yeux veulent bien laisser voir, quant à l'esprit, il n'est occupé que par ce qu'on est entrain de faire. Si on fait partie des gens qui croient à l'au-delà, alors on se demande ce que penserait le créateur de cette dernière action qui aura précipité sa rencontre ; dans le cas contraire, je suppose que la seule pensée qui occuperait un esprit septique serait de se demander s'il avait bien fait de ne pas y croire.

Toujours est-il que mon esprit à moi était serein. Rencontrer mon créateur pour avoir sauvé une vie, et pas n'importe laquelle de surcroît, me procurait presque une joie ; moi qui faillis perdre la mienne tant de fois en essayant d'ôter la leur à plein d'autres gens. Je regardais la flèche arriver. Je la trouvais presque trop lente. Elle avait la tête qui tournoyait en s'approchant.
Quand la flèche fut tirée, Pha courait vers le tireur. Je l'avais presque perdu de vue, quand je sautai à mon tour pour intercepter le projectile. J'étais entrain d'observer l'instrument de ma perte quand je vis que Pha, lui aussi, s'était lancé dans les airs. Il semblait avoir eu la même idée que moi, car il était dans la trajectoire de la flèche. Par contre, il était bien en amont de moi, ce qui le destinait à la recevoir à ma place. Brave Pha, me dis-je dans un pincement de cœur.
Cependant, je n'ai pas eu l'occasion de m'apitoyer longtemps sur le sort de cet étrange animal. En effet, Pha ne semblait pas vouloir recevoir la flèche dans son corps, mais plutôt l'attraper entre ses dents. Les effets de la potion de Layth lui facilitait tellement la tâche qu'il finit par la réussir! 

Layth est sauvé, et moi aussi, je suis sauvé, me dis-je, enfin, si je réussis à atterrir ailleurs que sur un rocher qui me briserait le dos ou autre chose de mon corps.

Encore une fois, mes craintes étaient sans compter sur les effets de la potion magique de Layth, car elle l'était, elle me l'avait largement prouvé. Elle me faisait voir le sol s'approcher à la vitesse de l'escargot, ce qui me permit d'adopter la meilleur position des mains pour atténuer ma chute. Encore mieux, en me servant de mes bras comme amortisseurs et comme points d'appui, je pivotai et me retrouvai sur mes pieds.

Au moment où je pus regarder le tireur à nouveau, il était entrain d'armer son arc. Au même moment, je vis une lance faisant sa route vers sa poitrine qu'elle n'a pas tardé à transpercer. C'était la lance de Layth, qui avait fini par se retourner et voir ce qui se passait derrière lui.

Je jetai un œil du coté de Pha. Je le vis, derrière un rocher. Il était sur ses pattes, dont les deux de devant étaient sur la poitrine d'un homme mort ou inconscient. Après sa réception de la flèche, le loup était tombé sur cet homme.
Je courus vers Pha, je le pris carrément dans mes bras, aussi content de sa survie que de la mienne. J'en oubliai même que le danger pouvait être toujours présent.

Quand on réussit à échapper tant de fois aux griffes de la mort, en si peu de temps, on commence à s'enivrer d'un certain courage inconscient, ou plutôt d'une insouciance déraisonnable. Loin d'amplifier le risque, cela permet de l'aborder sans le parasitage de la peur et de la panique. Si la peur n'empêche pas le risque, son absence, elle, permet de bien l'evaluer et de mieux l'affronter. 

Je regardai du côté de Layth. Il se dirigeait vers nous d'un pas calme. Je sus alors que le danger n'était plus.

Quand Layth parvint jusqu'à nous, il se pencha vers l'homme allongé sous les pattes de Pha, puis il lui ouvrit grand la bouche avant de l'examiner. J'ai vu alors Layth introduire sa main dans la bouche de l'homme pour en sortir quelque chose qu'il me mit aussitôt sous les yeux.

- Du poison enrobé dans de la cire. Finit-il par dire comme s'il annonçait une évidence.

L'homme n'était pas mort, mais juste inconscient. Layth m'expliqua plus tard que Pha ne serait jamais resté sur la poitrine d'un homme mort. Non seulement je n'en savais rien, mais je n'y aurais jamais pensé non plus.

Layth avait rassemblé dans son esprit une partie du casse-tête, bien plus grande que celle que j'avais dans le mien. Il avait deviné que l'homme cachait dans sa bouche un poison mortel enrobé dans de la cire. Il n'avait qu'à croquer dedans ou l'avaler pour se donner la mort et échapper à la capture vivant. 

Quand l'homme se réveilla et se vit prisonnier, il fit plusieurs mouvements étranges de sa mâchoire, puis finit par paniquer. Il commença à gesticuler et à crier. Les crocs de Pha, accompagnés d'un grognement terrible, persuadèrent l'homme de se taire, et de trembler en silence.

- Qui es-tu? Et pourquoi voulais-tu nous tuer? Dis-je à l'homme d'un ton coléreux.

- Parle-lui dans la langue de l'Ouest, il comprendra mieux. Me dis Layth calmement.

Je répétai alors ma phrase dans la langue de l'Ouest. L'homme paraissait comprendre, mais il garda la bouche fermée, tout en regardant de côté, comme pour fixer le rocher contre lequel il était allongé.

- Il ne dira rien, pas encore et pas maintenant en tout cas. Dit Layth, voyant que je m'enervais et que j'allais secouer notre prisonnier.

Mon jeune ami fit se lever l'homme et lui attacha les mains derrière le dos. Nous le conduisimes ensuite jusqu'au chariot. C'est là où je vis Mala morte.

la pauvre bête était allongée par terre, la flèche encore dans le cou. Je fus pris d'une colère sourde, mêlée à une tristesse si profonde. Je fus incapable de laisser sortir un seul mot, de peur de crier et de m'en prendre à notre prisonnier.

Layth murmura des mots incompréhensibles à l'oreille de Pha, qui partit aussitot en galopant. Quelques minutes plus tard on entendit son hurlement. C'était un hurlement saccadé et inégale.

- Va chercher les quatre chevaux, me dit alors Layth sans quitter des yeux le corps de Mala qu'il n'avait pas cessé de fixer.

Je me dirigeai vers l'endroit d'où le hurlement venait. J'y vis Pha, se tenant à distance de quatre chevaux, attachés et apeurés par sa présence.

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant