Chapitre 14

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J'ai hérité cette ferme de mon père, comme il le fit du sien, et ainsi de suite jusqu'à mon 7eme aïeul. Demain à l'aube je quitterai la Dune, pour peut-être n'y jamais revenir. Je prendrai avec moi quelques affaires, la mule et la charrette, ainsi que quelques provisions pour la route. Je te laisserai la ferme, elle sera tienne. Nous nous ferons nos adieux demain à l'aube.

Il avait fini ce qu'il avait à dire. Il n'attendit pas une quelconque réponse à ses propos. Il n'avait guère l'habitude d'en attendre, il est vrai. Il avait fini et il s'apprêtait à se lever, manifestement sans se soucier de ce que avais pensé et ressenti. J'étais abasourdi. Je ne saurais faire le tri des houles de sentiments qui s'entrechoquaient en moi. Je saurais encore moins vous les décrire, même maintenant. Je tapai alors mon poing sur la table en disant :

– Reste assis !

Je ne m'étais jamais adressé à Layth sur ce ton ni de cette façon. Il allait se lever, croyant que nous nous étions tout dit. Pour lui, quand il finissait de parler, tout était dit. J'étais habitué à sa vision en la matière, ou plutôt conditionné dirais-je, pour être précis. Mais non! pas cette fois-ci ! Il resta assis, et je poursuivis.

– Deux mois sont passés depuis que tu m'as sauvé la vie. Non, plutôt depuis que tu me sauvas la vie la première fois, alors que j'étais venu te voler et que je t'aurais peut-être tué pour y arriver! Tu me sauves la vie tous les jours depuis ! Car à part la mort, il n'y a rien dehors. Je l'ai assez croisé pour que tu me croies sur parole !

Comme à son habitude, il ne fixait pas mes lèvres mais mon regard. Je n'avais pas terminé, alors je continuai

– Je ne suis pas ton ami, toi tu es le mien! Je te suis redevable de la vie, autant de fois que j'ai respiré durant ces deux derniers mois. Quant au dernier des deux, j'échangerais le restant de ma vie contre encore un pareil de plus !
Non, je ne veux pas de ta ferme ! J'irai avec toi où tu iras! On ne voyage pas seul, même en temps de paix! Pour un œil qui dort il en faut un qui veille et pour un bras qui se repose il en faut un qui reste en garde! Je serai ton bras et ton œil!
Ce sera cela ou nous sortirons demain, ensemble, mais chacun de son côté! Je ne saurais m'imaginer dans cette ferme, au chaud et repu, alors que toi, tu es dehors, exposé à tout ce que le génie du mal a ajouté à la sauvagerie naturelle du monde. C'est ainsi et pas autrement !

ÎLE DE L'AIGLE (TOME I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant