OakDeath Club T1 - Jason [TERMINÉE]

Chapitre n°8

Jason avait 150 kilomètres dans les pattes. Il était désormais midi passé, le soleil brûlant tapait sur son casque. Il avait besoin de manger et de se dégourdir les jambes. Heureusement pour lui, aucune voiture blindée ne s'était lancée à leur poursuite. La conduite n'a donc pas été désagréable.

Ils pouvaient s'arrêter tranquillement.

Charlotte semblait en avoir encore plus besoin que lui.

Quand il coupa le moteur sur le parking presque vide du restaurant isolé, la jeune femme descendit rapidement de la moto. Il s'empressa d'enlever son casque pour pouvoir la rattraper si elle tombait. Son chancellement ne lui avait pas échappé. Elle tint bon et se racla la gorge en secouant légèrement ses jambes, Jason l'imita lentement.

- Comment te sens-tu ? Demanda-t-il avec nonchalance.

- Ça va, répondit-elle rapidement en le regardant, et toi ?

Il esquissa un sourire.

Elle s'inquiète pour moi, trop mignon.

- Personne ne nous poursuit, alors tout va bien.

Il lui tendit ensuite son téléphone.

- Contact quelqu'un qui peut venir te chercher.

Charlotte écarquilla les yeux et attrapa le téléphone d'une main tremblante.

- On ne pourrait pas manger un bout d'abord ? J'ai faim et soif.

- On mangera en attendant tes proches... ou n'importe qui d'autre d'ailleurs.

Jason croisa les bras sur sa poitrine et constata qu'une fois à l'arrêt, avec ce soleil puissant, son manteau était de trop. Mais il était si fier de le porter que l'enlever n'était pas une option.

Qu'attendait-elle ? Charlotte observait le téléphone avec concentration et Jason se fit la remarque qu'elle avait peut-être oublié comment s'en servir.

À force de se cogner la tête contre le mur.

Il s'approcha pour lui prendre le téléphone des mains pour le déverrouiller et ouvrir l'application d'appel. Il remarqua bien qu'elle s'éloigna de lui instinctivement, pour ne pas l'effleurer.

Jason l'observa, ses yeux verts ressortaient un peu plus avec la lumière du soleil, grands ouverts, fixés sur l'appareil. Elle ne bougeait pas. Il prit énormément sur lui pour ne pas la secouer.

- Tu peux m'attendre dans le restaurant ?

Elle avait demandé ça dans un souffle, dans la même position. Jason haussa les épaules et se dirigea tranquillement vers le restaurant pour prendre une table pour deux. Ce n'était pas le grand luxe, beaucoup de moquette, sur le sol, sur quelques murs et des tables aux décorations très neutre.

Ça fera l'affaire pour un repas.

Après avoir demandé la seule table donnant sur le parking, Jason jeta un coup d'oeil à l'extérieur. Charlotte était toujours là-bas, faisant les cents pas, le téléphone serré dans une main. Ses pieds devaient souffrir de la chaleur émanant du goudron, pourtant Jason était persuadé qu'elle ne sentait rien. Son visage était si fermé, si concentré. À quoi pensait-elle ? Qui appeler en premier ? Son petit ami - si elle en avait un - devait être le premier informé de son escapade nocturne - volontaire ou non -.

Cette idée le foutu en rogne car si elle avait un petit ami, cela signifiait que cet incapable n'était pas venu la chercher à temps, ne l'avait pas protégé non plus d'ailleurs...

Abruti.

- Appelle quelqu'un, murmura-t-il, appelle quelqu'un.

Tout en la regardant tourner en rond, Jason se mit à penser à sa mère. L'attitude de Charlotte lui rappelait des souvenirs d'enfance. Il avait déjà vu Betty, le téléphone serré contre elle, la peur nouant ses entrailles. Elle se retenait d'appeler quelqu'un à l'aide. Toujours. Jason avait puisé dans cette résistance une force incroyable. Grâce à cette résignation mal placée, ils avaient été obligés de s'occuper l'un de l'autre seuls. Ils le faisaient toujours d'ailleurs. Mais au moins, Jason n'était dépendant de personne.

Et ne le serait jamais.

Le serveur vint prendre la commande, Jason demanda deux omelettes du jour et deux carafes d'eau, au vue des lèvres gercées de Charlotte, elle devait souffrir de déshydratation. Le serveur lui demanda s'il voulait autre chose, Jason répondit que non, merci, il attendait sa partenaire de voyage.

Partenaire de voyage ? Pourquoi avait-il dit ça ? Si sereinement en plus !

Lorsqu'il reporta son regard sur le parking, Charlotte avait disparu.

- Merde.

Le serveur cru qu'il lui parlait alors Jason marmonna des excuses et se leva pour voir plus loin sur le parking. Sa chaise tomba dans un bruit sourd contre la moquette, quelques regards convergèrent vers lui.

Aucune trace d'une femme brune en robe noire.

Putain.

Il allait se précipiter dehors lorsqu'il regarda l'entrée du restaurant, Charlotte était là, accueillie par un autre serveur.

Aussitôt il se sentit un peu con et dû se faire violence pour ramasser calmement sa chaise.

Il avait eut peur qu'elle se barre avec son téléphone.

C'était ça.

- Mon compagnon m'attend juste là, lance-t-elle au serveur qui voulait lui proposer une table à part.

Compagnon ? Il esquissa un sourire, et lui qui avait simplement parlé de partenaire de voyage. Elle allait vite en besogne la petite !

Lorsqu'elle le rejoignit, elle prit place en face de lui en lançant un petit regard dehors. Charlotte posa ensuite le téléphone qu'elle tenait toujours fermement devant elle, à la place de la future assiette de Jason. Son regard ne quitta pas le sien, elle se mordit la lèvre inférieure.

- Jason...

Le serveur apporta les omelettes en souriant, Jason rangea son portable dans sa poche de jean. Charlotte ne prêta même pas attention à son assiette.

Le service express fut une excuse pour Jason : parler la bouche pleine était mal poli. Il n'allait pas faire la causette.

- Bon appétit, Monsieur Dame.

Charlotte lui rendit son sourire, Jason continuait de la fixer, empoignant machinalement ses couverts. Il avait un mauvais pressentiment tout à coup.

Peut-être parce qu'elle préférait lui parler alors que les plats étaient chauds ? Qu'elle préférait lui parler avec ce ton gêné au lieu de prendre un grand verre d'eau ?

- Jason, reprit Charlotte, je ne me souviens de rien.

Fini le sourire, son regard renvoyait une détresse presque palpable.

- Ce n'est pas étonnant, répliqua-t-il, tu souffres d'un traumatisme.

Il lui parlait sèchement pour lui remettre les idées en place. Pour ne pas qu'elle se laisse aller à pleurer. Les quelques couples présents au restaurant pourraient penser qu'il la demandait en mariage, ou qu'il souhaitait rompre.

Deux situations embarrassantes que Jason éviterait au maximum dans sa vie.

Sa fourchette piqua un bout d'omelette mais il vit qu'elle ouvrait la bouche, le souffle court. Il attendit qu'elle parle, de peur de gâcher sa bouchée.

- Ce n'est pas ça. Je ne me souviens de rien. De personne.

Jason maintien sa posture quelques secondes lorsqu'il comprit ce qu'elle voulait dire. Sa main descendit lentement, reposant son repas fumant. Il ferma les yeux un instant. Lorsqu'il les rouvrit, Charlotte le fixait intensément, elle n'avait pas bougé d'un centimètre, elle aussi, dans l'attente d'une réaction, d'une réponse.

Jason chercha le serveur du regard, le héla d'une main ample et lança :

- Un whisky finalement pour moi.