Oxelle

73] Grandir

Les parties de cache-cache...

Évidemment. Pourquoi Félicité n'y a-t-elle pas pensé plus tôt?

Elle sort du salon, va dans la cuisine et saisit à pleine main un couteau à viande avant de se diriger vers les escaliers.

Lorsqu'elle jouait avec ses frères petites elle était la seule à avoir trouvé cette cachette, parce qu'elle était la seule assez fluette pour pouvoir s'y glisser.

A peine sur la première marche Prosper l'arrête:

-Attends mais qu'est ce que tu fais?!

Elle le regarde, déterminée:

-Ne t'inquiète pas. Reste ici. Je reviens.

Elle ne veut pas l'inquiéter ni risquer qu'il réouvre sa plaie, mais surtout Félicité veut s'en charger seule. Elle veut réparer son erreur. C'est elle qui doit s'en charger et personne d'autre!

Dans cette cachette, personne ne l'a jamais trouvé, pour la simple raison que personne n'a jamais pensé à regarder dans un endroit aussi étroit. La petite fille qu'elle était pouvait parfois y rester cacher des heures. Son corps était contorsionné et devait douloureux mais elle n'avait plus envie de sortir. Elle se sentait en sécurité ici.

Félicité arrive enfin à l'étage, le manche du couteau serré dans sa main, prête à terminer le travail.

Elle y restait parfois si longtemps que ses parents s'inquiétaient pour de bon. Et lorsqu'elle sortait enfin, refusant toujours de dire où elle était tout ce temps, la correction qu'elle recevait était mémorable.

Elle avance dans la chambre de Fidèle, d'un pas feutré comme une louve.

Mais jamais, jamais elle n'a révélé sa cachette. Malgré les coups, malgré les menaces et les punitions elle n'a jamais craqué.

Le parquet craque sous ses pieds. Elle avance lentement mais sûrement jusque dans la salle de bain et le parquet se transforme en carrelage.

Mais la petite fille a grandi, grandi trop vite. Félicité est grande et d'une carrure imposante et rapidement elle n'a plus réussi à s'y cacher, malgré tous ses efforts pour se contorsionner...

Le sol est trempé, et s'infiltre peu à peu dans la chambre.
Elle pose un genou au sol, se moquant bien que son pantalon soit mouillé.

Elle ne pouvait alors plus échapper au reste du monde. Plus échapper à son frère aîné, aux coups de son père et à cette vie qui est la sienne.

Elle se penche, posant ses mains à plat dans l'eau, le couteau sous l'une d'elle, prêt à servir.

Elle n'était plus une petite fille mais une femme. Et les femmes ne peuvent pas échapper à leur destin ni aux hommes. Alors pour survivre, Félicité s'est soumise comme on le lui a appris et elle n'a plus jamais essayé de fuir son monde...

Sa joue frôle le carrelage, et son regard s'illumine soudain lorsqu'elle voit là où elle s'est cachée toute son enfance: Nina.