Chapitre 33 : Amrad

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La jeune femme trouva facilement l'auberge d'Amrad grâce aux renseignements de quelques passants et marchands. L'établissement se trouvait dans une petite rue de la troisième strate de la cité.

Elle poussa la porte. Cela faisait très longtemps qu'elle n'avait pas pris contact avec la réalité. La ferme d'Alrad avait été une bulle hors de l'espace et du temps qui l'avait protégée de l'extérieur. Ici, elle était laissée à elle-même. Elle était bien sûr anxieuse mais elle avait vraiment faim et elle savait qu'elle pouvait avoir de la ressource.

Quand elle entra, elle fut immédiatement assaillie par les odeurs de nourriture, d'alcool, d'herbe à pipe et par le bruit des personnes présentes. C'était la fin de la matinée et l'auberge était tout de même bien remplie. La jeune femme regarda autour d'elle. Il n'y avait que des hommes dans la salle. Elle allait clairement détoner ici. Alors elle releva la tête, pour se donner contenance et avança d'un pas qu'elle voulait décidé et sûr. Sa présence ne semblait pas avoir été remarqué. Cela l'arrangeait bien.

Arrivée au bar, elle tapa d'une main sur le bois pour appeler le patron de l'établissement. Ce dernier, occupé à nettoyer des verres sur la droite, arriva à sa hauteur. La jeune femme le détailla. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, grand et d'une stature imposante. Il devait en impressionner plus d'un et pourtant elle soutint son regard sans flancher :

— Vous êtes Amrad, le propriétaire, je suppose ? demanda-t-elle

L'homme eut un rictus :

— Ouais c'est bien moi et j'ai pas l'habitude de servir les donzelles dans ton genre alors zou !

Il fit un geste de la main en direction de la porte :

— Tu vas m'faire le plaisir de prendre la porte.

La jeune femme ne se laissa nullement intimider par le langage rustre de l'homme. Elle avait vu pire et les personnes méprisantes, misogynes et bien élevés étaient bien pires que les petites gens :

— Vous ferez une exception pour moi, répliqua-t-elle très calme.

Elle s'étonna de son détachement face à la situation. Elle se sentait comme coupée de ses émotions depuis qu'elle était arrivée ici. Tout était plus simple à gérer et elle appréciait ce répit émotionnel.

Amrad s'appuya sur son bar et se pencha vers elle. Son haleine sentait l'alcool :

— Ah oui et pourquoi j'ferais ça, dis-moi ?

-Parce que je suis un soldat de l'armée du Gondor, la préceptrice de vos deux princes héritiers et que vous me devez le respect, répondit-elle sans bouger d'un pouce.

— Une donzelle dans l'armée ! s'exclama-t-il partant dans un grand rire, ça m'étonnerait beaucoup ça, ma cocotte ! Et le roi n'engage que des hommes pour instruire ses fils. Faut t'renseigner avant de me sortir ce genre de conneries.

— Demandez au Général Eärnil puisque j'ai eu ouïe dire qu'il se rendait souvent ici. C'est lui qui m'a d'ailleurs recommandé votre établissement mais je constate que la qualité dont il m'a fait l'éloge est déplorable. Il sera sûrement déçu.

Amrad ne répondit rien. La jeune femme sut qu'elle avait touché un point sensible. Il la fixa durement dans les yeux, la défiant de lui tenir tête, ce qu'elle fit. Ils s'affrontèrent du regard sans ciller pendant quelques secondes. Et soudain Amrad partit d'un grand rire et frappa le bar de sa large main :

— T'es une donzelle de caractère toi ! J't'aime bien en fait. T'as l'air de savoir c'que tu veux.

— Je vois que nous nous comprenons enfin, répondit-elle, un petit sourire en coin. Et je vous prierais de m'appeler par mon grade : Soldat Nwalmendil.

— Pas de soucis. Et tu peux me tutoyer... Alors qu'est-ce que je te sers soldat ?

— Une collation et...

La jeune femme se stoppa en plein élan. Elle allait commander une pinte de sa plus forte bière mais peut-être n'était-ce pas raisonnable. Il n'était peut-être pas judicieux de commencer son premier jour dans l'armée à se soûler :

— Ce sera tout.

— Tu bois pas d'alcool ? Ça, c'est bien les donzelles ! s'exclama Amrad.

— J'apprécie beaucoup l'alcool mais c'est mon premier jour dans l'armée alors je ne veux pas commettre d'impair.

— C'est ton premier jour ? Et puis déjà comment ça se fait que tu sois dans l'armée ? T'es une femme.

— J'ai prouvé ma valeur, répondit-elle simplement, secrètement amusée par l'irrespect de l'homme dont il ne semblait même pas se rendre compte.

— Et alors, une donzelle de caractère comme toi, on en trouve où ? lança Amrad sans insister plus sur la question de l'armée malgré qu'il soit fort surpris.

La jeune femme comprit la question détournée par l'humour légèrement graveleux de l'homme :

— Au nord, en Eriador.

— Ah oui ! C'pas tout près... t'es étrangère ici alors ?

— Oui.

L'homme siffla :

— Et ben dis donc, t'es pas causante toi ! On peut pas dire qu'c'est simple de t'tirer les vers du nez !

— Je n'aime pas parler pour ne rien dire, c'est tout.

Il n'insista pas et partit servir d'autres clients qui venaient d'arriver.

La jeune femme ne s'attarda pas dans l'auberge. Elle se sentait oppressée par tout ce monde et ce bruit. Elle se sentait observée et souhaitait se rendre dans un endroit plus intime. Elle paya et sortit, ayant décidé de visiter la ville puis d'aller s'entraîner pour se défouler un peu. 

Helwa Isil, lune bleue - [Terre du Milieu] - TerminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant