Chapitre 2

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A y réfléchir je ne suis pas la fille la plus tolérante. Y'a un tas de choses qui m'agacent. Les limaces, la foule, les gens qui mâchent la bouche ouverte... Et un tas d'autres détails qui sonnent faux dans l'existence et que je me plais à énumérer. 

Je n'aime pas les banalités. Combler le silence, se démener contre l'atmosphère, utiliser des mots, des sons, des phrases, pour finalement ne rien dire. Je veux pouvoir discuter, pour de vrai. Avoir la sensation que mes mots ont un impact, une raison d'être. Je veux apprendre de l'autre, de sa vision intime de la vie. Sentir qu'au fond de lui, il est différent de moi et me délecter de cette différence. Quand je meuble le silence, j'ai l'impression de briser quelque chose. La désagréable sensation d'être fausse avec moi-même. Parce que ce n'est pas moi. Le silence est riche, profond, magnifique. En son sein, je peux interpréter l'autre, m'immiscer dans ce qu'il est. Déceler dans l'air ambiant, cette présence dans ma bulle, jusqu'aux côtes qui enserrent mon coeur. Et apprendre à l'aimer. 

- Hé Hélia ! 

Je tourne la tête et mon regard se heurte au visage courroucé de Déva, une fille de mon cours de TD. 

- T'as suivi le cours de la dernière fois ? 

- Vaguement, pourquoi ?

- J'étais pas là. 

Elle me regarde dans l'attente de quelque chose, et mes yeux se perdent dans les feuilles des arbres au-dessus de nos têtes. 

- Ah bon. Je n'avais pas vraiment remarqué. 

Elle papillonne des yeux, désarçonnée et plante ses iris noisette dans les miennes. 

- Tu pourrais me prêter tes notes s'il te plait ? 

Je hausse les épaules. 

- Si tu veux. 

Je la détaille un moment. Elle est plutôt mignonne. Petite, le teint mat, ses yeux clairs sont profondément ancrés dans un visage assez sombre et pourtant très noble. Ses hautes pommettes et son menton volontaire viennent soutenir ce caractère rentre-dedans et téméraire que j'ai déja pu remarquer. Elle ne m'aime pas beaucoup, je le sais. Elle est persuadée du contraire cependant, mais au fond, elle me hait de toute sa petite âme. 

- On va aux falaises avec quelques potes cet aprèm, tu veux venir ? Ce sera sympa. 

Je souris, ironique. 

- Je ne voudrais pas te faire le déplaisir d'accepter. 

Un air de choc éclate ses traits et pousse ses sourcils à se froncer. Et je sais qu'elle est sincère. 

- Je ne comprends pas... 

- Ce n'est rien.

Je suis d'humeur joueuse aujourd'hui. Ce n'est pas rare mais je n'aime pas blesser les gens intentionnellement. Mon ego ne supporte pas la culpabilité. Je préfère couper court à cette conversation qui tangue dangereusement vers un côté que je ne suis pas sûre d'apprécier. Je marmonne des excuses dans ma barbe, reprend mes cours et me dirige vers l'amphi pour mon dernier cours de la journée. 

Arrivée dans l'amphithéâtre, je m'installe discrètement près de la fenêtre et observe mes camarades s'asseoir en chahutant. Je n'avais jamais vraiment pris la peine de les détailler auparavant. Déva est la seule qui s'entête à m'adresser la parole. 

C'est alors que mes yeux croisent des prunelles vertes saisissantes. Je soutiens le regard, inexpressive,  et mes pupilles se jettent à la découverte de cette inconnue terrée au premier rang, à demi tournée vers moi qui me fixe, toute aussi neutre. C'est la première fois que je parviens à voir son visage aussi clairement. D'habitude, elle ne se retourne jamais. De longs cheveux bruns légèrement ondulés et un visage meublé de tâches de rousseur qui s'étalent le long de son nez et saupoudrent ses joues. Une mèche est coincée derrière son oreille droite et son index porte un anneau en argent fin, sans la moindre inscription. 

Tout d'un coup, elle se détourne de moi brusquement. Peut-être l'ais-je mise mal à l'aise. J'hausse les épaules et reporte mon attention vers la fenêtre, l'air rêveur, alors que le prof prend place sur sa chaire et débute son cours. 







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