Chapitre 5

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Ma mère gara la voiture devant la maison. Un sentiment de sécurité m'envahit à la vue de cette bâtisse qui m'avait vue grandir. 

Elle s'y reprit à deux fois avant de réussir à éteindre la musique. Le CD de Johnny Cash est coincé dans le lecteur depuis ma rhéto. Je me souviens encore du visage tout rouge de mon père quand ma mère lui avait annoncé d'un ton badin qu'elle avait bloqué son CD préféré. Il avait organisé une cérémonie funèbre dans l'arrière-cours et avait observé deux longues journées de silence durant lesquelles il n'avait communiqué que par geste ou par grognement. 

Je poussais la porte et fut aussitôt giflée par Sketches of Spain de Miles Davis. Mon père était assit sur son fauteuil, les yeux fermés, faisant bouger ses doigts au rythme des enceintes. 

- Quel beau tableau. Tu as laissé filé une vocation de chef d'orchestre Père. 

Il ouvrit les yeux en souriant. 

- Paix ma fille, paix. Deux semaines sans se voir et encore la langue bien pendue, qu'ais-je fais pour mériter une gosse pareille ? 

A ces mots, il se leva et vint me prendre dans ses bras. Nous faisions la même taille. Sa colonne vertébrale avait survécu au poids des années mais... pas son crâne apparemment. 

- Si ton but, c'est de mourir moine, sache que c'est plutôt bien parti. 

- Si ton but, c'est de mourir seule et triste, sache que ce sera sûrement le cas. 

Je l'embrassais sur la joue, heureuse de le retrouver aussi en forme. 

- Léon, Hélia, vos joutes verbales attendront la fin du repas. Je n'ai pas passé ma journée sur cette pizza pour rien. 

- Pizza ? 

Mon père agita le nez dans tous les sens, incapable de se souvenir de ce dont on parlait. 

Il courut presque jusqu'à la salle à manger, embrassa ma mère dans le cou et s'assit en gigotant d'excitation. 

Un vrai enfant. 

Je m'asseyais en riant et ma mère arriva avec les assiettes. Elle en mit quatre. 

- Je pensais que Kate rentrait demain ? 

- Je pensais aussi, mais elle m'a envoyé un message. Elle rentre plus tôt apparemment. 

Ce n'est pas du genre de ma sœur d'écourter son temps de répit en dehors de la maison. Est-ce à cause de sa nouvelle amie, cette fameuse Alice ? 

J'avais à peine terminer ma première part que j'entendis la porte d'entrée claquer. Je me levais à la vitesse de l'éclair et courut jusqu'au hall. 

Ma mère accueillait Kate. 

- Alors ma chérie, pourquoi rentrer si tôt ? 

Ma soeur esquissa un sourire. 

- Dis tout de suite que je dérange. 

- Mais pas du tout, pas du tout ! répondit ma mère, affolée. 

Kate lui embrassa le front et rigola. 

Adossée à la poutre d'escalier, les bras croisés je lui adressais un sourire moqueur. 

- Tu vas finir par lui faire avoir une crise cardiaque avec tes petites blagues sournoises. 

Elle sourit jusqu'aux oreilles et me répondit sur le même ton : 

- Si ça arrive, on sera toutes les deux aussi coupables l'une que l'autre. 

- Bah alors on dit pas bonjour à sa grande-soeur chérie ? 

Silent voicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant