Chapitre 10

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"Il est de certaines choses qui se finissent sans avoir même commencé. Des esquisses, des brouillons qui se défont et s'effacent. Les prémices d'une idée qui s'échappe, virevolte, se déhanche, sans qu'on ne puisse mettre la main dessus. Dans mes moments d'optimisme, je me compare à cette idée qui, libertine et incertaine, n'est pourtant que le fruit d'une imagination. Mes envies ne font que s'élever, grandir et s'étoffer avant de se fracasser sur les murs de ma timidité, de mon indifférence. 

Quand le soir tombe, je me congratule de rester attachée à la réalité. M'étonne d'apprécier chaque moment agréable. Doutant d'un bonheur que je n'ai pas imaginé. Je confonds être et paraître, les mélange, les malaxe, les remixe à ma façon. Puis, insatisfaite, je me replonge dans mes essais, dans mes tentatives. Et la nuit avance.

Au matin, rien n'a changé mais je m'efforce de tout voir différemment. Je me persuade que cette personne que je vois, c'est moi et m'entends parler comme spectatrice de ma propre vie.

Il est de certaines choses qui se finissent sans avoir même commencé. Pour ma part, le jour où je suis née, ma vie s'était déjà terminé." 

- T'écris quoi ? 

Je fermai mon carnet brusquement. 

- Rien. Une to-do list. 

- Ah oui ? 

Elle se pencha vers moi, le regard moqueur. 

- Ou...oui. 

- En tant que professeure j'exige de voir cette fameuse liste. 

- Tu n'outrepasserais pas tes droits ? 

- Allez Hélia s'il te plaît ! Tu as piqué ma curiosité ! 

Elle insistait. Je lui tendis alors l'objet en soupirant. J'étais bien incapable de dire non à ses yeux-là. 

Elle esquissa un large sourire vainqueur et s'empara de mon bien, l'emportant vers son banc alors que le cours commençait. 

- Navré du retard, nous pouvons commencer. 

Nerveuse, je regardai Cléo se désintéresser totalement du cours et se pencher sur mon carnet. Je ne pouvais pas voir son visage de là où j'étais mais son dos était totalement courbé sur les pages. Je pouvais imaginer sa moue de concentration, mordillant son bic en plissant les yeux. Dieu, j'aurais tout donné pour voir son visage à ce moment précis. 

Perdue dans mes pensées, je ne remarquai pas la silhouette qui se glissa sur la chaise à côté de moi. 

Déva. 

Elle ne tourna pas son regard vers moi, ce qui me laissa tout le loisir de la détailler. Ses yeux étaient légèrement rougis. Son maquillage était beaucoup plus léger que les autres jours, comme si elle n'avait pas eu le temps ou l'envie d'y mettre plus de cœur. Ses cheveux habituellement soyeux et brillants étaient ternes et secs. Même son verni était écaillé. Elle n'avait pas l'air bien et tombait de sommeil sur le banc. Elle frissonnait sous son fin T-shirt manches courtes. Comment avait-elle pu oublier de prendre un pull ou une veste avec ce temps ?  C'était à n'y rien comprendre. Elle semblait tellement éloignée de ce qu'elle était... 

Sans réfléchir et sans lui adresser la parole, je retirai mon sweat et le posai sur sa table, évitant son regard. 

Je sentais ses yeux interrogateurs sur moi mais je tins bon. Ce qu'elle avait fait me restait toujours en travers de la gorge et tant qu'elle ne m'aurait pas donné d'explications, je ne ferais aucun pas vers elle. 

Elle me prit le pull et l'enfila. 

- Merci... 

Les mots me brûlaient les lèvres mais je les retenais. Je voulais lui demander ce qu'elle avait, ce qu'il se passait. Mais mon orgueil m'en empêchait. Mon silence parut assombrir encore plus ses yeux. Sa mine devint triste et elle baissa la tête. Je ne me retins plus. 

Silent voicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant