Chapitre 17

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- Euh... Hélia tu m'expliques pourquoi il y a une inconnue dans ta chambre ? 

Thalia me regarde de travers debout dans l'ouverture de la porte. Je me lève en vitesse et me passe instinctivement la main dans  les cheveux. 

- Euh... C'est... compliqué. 

-Hum... 

Elle fronce les sourcils en me toisant. 

- Je comprends pas où est-ce que tu as trouvé le temps de batifoler en l'espace de quelques heures. Ah et où est Kira ? 

Je me détends. 

- Elle est partie tôt, un rendez-vous avec sa copine. Et je n'ai pas batifolé. C'est Cléo. 

Elle se fige.

- Cléo ? Genre ? Cléo, Cléo ? 

- Oui genre Cléo bougre d'idiote. 

Je lève les yeux au ciel en ricanant un peu et m'active à ranger les couvertures éparpillées sur le sol et à ramasser les miettes de chips sous la table basse. C'est le bordel dans le salon et j'ai un peu honte que Cléo voit ça. Je remercie le ciel qu'elle se soit endormie à l'allée et qu'elle n'ait donc pas pu voir Kira affalée sur le sol à baver et à péter comme un dromadaire. Un vrai miracle. 

Thalia me fixe toujours au même endroit, les mains toujours sur les hanches, le regard mort. 

- Dis. Tu veux pas venir m'aider ? Au lieu de me fixer comme ça ? 

Un moment de flottement puis elle se met en mouvement.

- Pardon chuis choquée. Comment t'as fais ? 

Je passe un balai et lui répond sans la regarder. 

- Comment j'ai fais quoi ? 

- La ramener dans ton lit aussi vite ? 

J'en lâche mon balai. 

Il s'écrase sur le sol et rebondit dans un bruit mou. Mes joues chauffent alors que des images agréables m'envahissent. 

- Je parie que t'es toute rouge. 

Elle se fout de ma gueule allégrement. 

- Tais-toi, marmonnais-je le visage cramoisi.

Je ramasse le balai quand j'entends un bruit de chute provenant de ma chambre. Je relâche mon balai et me précipite vers le couloir. Derrière la porte une flopée de jurons me parviennent. J'ouvre le battant à la volée et tombe sur une Cléo avachie par terre qui se frotte la tête douloureusement. Elle s'est sûrement cognée contre l'étagère juste au-dessus de mon lit. Moi-même je me la prends une fois sur deux. Pas très pratique. 

Je n'ose pas vraiment m'approcher d'elle alors je me contente de la regarder dans l'embrasure de la porte. Je toussote. 

- Hum... Pas trop mal ? 

Quelle question. Elle a l'air d'être au bout de sa vie. Bien sur qu'elle a mal sombre idiote. 

Elle lève la tête vers moi et me fixe un moment sans sembler me voir réellement. Quelques secondes plus tard, son cerveau a l'air de capter la situation et d'assimiler le fait que nous soyons toutes les deux dans une chambre plongée dans le noir et elle rougit intensément. Enfin, je suppose. Ses yeux brillent un peu dans la semi-obscurité qui règne et un silence embarrassé s'empare de la pièce. J'allume une petite lampe pour ne pas l'agresser et m'approche d'elle. 

- Cette étagère... C'est vraiment stupide de la placer là je ne sais pas ce qui est passé par la tête de l'ancien proprio. 

J'adresse un regard noir à cette étagère de malheur avant de reporter mon attention vers mon invitée qui fixe le sol et qui n'a pas l'air de vouloir m'adresser la parole pour un sou. 

-Je... 

Merde... C'est quoi cette situation au juste ? 

Je lui tends la main dans l'espoir de la relever. Elle l'ignore et se relève par ses propres moyens en évitant mon regard délibérément. Elle s'assoit sur le lit. Le dos droit, les lèvres pincées, ses deux mains posées à plat sur ses cuisses, elle a l'air stressée. 

Je prends ma voix la plus douce pour lui demander : 

- Tu te souviens de la soirée d'hier ? 

Elle lève les yeux vers moi. Des larmes brillent au fond de ses prunelles mais elle ne les laisse pas couler. Son regard est fier. Elle refuse de pleurer devant moi. Je lui tourne donc le dos, lui laissant la possibilité de se montrer faible sans qu'elle ne soit soumise à mon regard. Je ne veux pas la forcer, je ne veux pas qu'elle se sente jugée, menacée par ma présence. Je veux qu'elle sache que je peux être là sans rien dire, sans rien faire. Que je veux qu'elle soit libre de tout, y compris de moi. 

Après quelques instants, j'entends un froissement. Du mouvement dans mon dos et puis un contact. 

Le contact de sa paume contre mon dos. Un frisson me parcoure mais je refuse de me retourner. Je suis figée, paralysée par les millimètres de tissus qui nous séparent. J'attends. Elle hésite, je le sens. Mes battements de coeur raisonne dans ma cochlée, animent mon être d'une fébrilité inouïe. L'anticipation me fait trembler. Elle est derrière moi et pourtant je la sens partout dans mon corps. 

Après un effort surhumain je me retourne vers elle doucement. Mes yeux se jettent à la redécouverte de son visage comme à chaque fois. Ils parcourent tous ses traits, son corps, son être, sondent ses yeux, la finesse de sa peau. Ils s'attachent, s'accrochent, tombent amoureux d'elle à chaque nouveau coup d'œil, à chaque nouveau regard. Je vois cette scène se dérouler dans mon esprit et je me force à rester attachée à la réalité. Me force à m'empêcher d'espérer, de projeter les "peut-être" qui emplissent mon esprit. Mais son regard est trop intense. Trop fort, trop puissant pour que je n'ose m'en détacher. Ma main se lève sans mon accord et vient se poser sur sa joue rougie. Sans que je ne lui aie rien demandé elle caresse de la pulpe de ses doigts son épiderme. 

- Hélia... 

Elle murmure mon prénom dans un souffle. Ses yeux se verrouillent dans les miens et ses lèvres s'entrouvrent sous la tension. Je plonge sur ses lèvres et elle ferme les yeux. Surprise, elle gémit sous mon étreinte. Quelques secondes s'écoulent et je me perds dans ce tourbillon de sensations qui nous enveloppe. Ce baiser n'a rien à voir avec le premier. Il est emprunt de désespoir mais aussi, de promesse. Il est à notre image : brûlant. 

Je m'éloigne un petit peu d'elle, l'esprit embrouillé. Ses yeux s'ouvrent et je m'apprête à dire quelque chose quand elle me pousse contre le mur et reprend à nouveau possession de ses lèvres. Cette fois-ci c'est elle qui mène la danse. Mortelle, vénéneuse, attirante, son toucher m'électrise, me rend fébrile. Elle me fait perdre tous mes moyens. Elle pulse de force, de puissance et irradie dans cette flamme qui lui est propre. Celle à laquelle je n'ai toujours pu que succomber. Elle est chez elle, elle me domine. Son baiser n'est pas notre, il est sien. Et j'aime ça. J'aime ce désespoir qu'elle met dans ses lèvres, comme si la dernière chose qu'elle voulait faire, son ultime souhait était de m'embrasser. 

A bout de souffle, nous nous séparons. Front contre front, les yeux fermés, adossées contre le mur dans l'obscurité. En cet instant, rien d'autre n'existe. J'ai une conscience aigüe de ses lèvres à quelques centimètres des miennes, de sa peau contre la mienne, de ses mains froides accrochées à mon cou et des miennes enserrant ses hanches. 

Dans l'euphorie du moment, la seule chose que je parviens à dire c'est : 

- Ton front ne te fait plus mal ? 

Elle rit. Sa poitrine se soulève et heurte la mienne dans une intimité dont je ne veux plus jamais me séparer. Elle répond en me regardant d'un air taquin. 

- Etonnamment... non.

Cette femme causera ma perte.  



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