Chapitre 19

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Toujours plongée dans la scène qui venait juste de se dérouler, j'avançais vers la porte de Cléo dans un état second, incertaine jusqu'à comment placer un pied devant l'autre. Mes vêtements étaient imbibés de vomi et je sentais le fauve. Les gens changeaient même de trottoir en me croisant c'était dire. Je me ramassais des regards haineux et des mines dégoûtées. A l'approche de Noël, personne ne voulait s'approcher de cette odeur dégradante. Honteuse, j'avais même envisagé de rebrousser chemin mais l'envie de voir Cléo était plus forte. Et puis cette histoire semblait tellement surréaliste que je doutais qu'elle ait pu me croire. 

Je sonnais à la porte. Avec une dizaine de minutes de retard. Le battant s'ouvrit presque immédiatement et ça me fit sourire. J'étais attendue avec impatience on dirait. 

Mon sourire s'effaça aussitôt lorsque la mine de Cléo se froissa de dégoût. 

- Je vais demander... Comment au juste ? 

- Les frasques du métro à cette heure-ci de la nuit ? 

Elle esquissa un petit rire gêné. 

- Okay excuse acceptée, tu peux entrer. Par contre direction la salle de bains. 

- Il vaudrait mieux... merci...

Elle me sourit et s'effaça pour me laisser entrer. Je pénétrais donc une fois de plus dans ce petit couloir. En espérant en ressortir d'une meilleure manière que la fois précédente... Des cadres photos que je n'avais pas remarqué la dernière fois me sautèrent aux yeux. Cléo accompagnée d'une autre jolie jeune femme. Leurs visages étaient éclaboussés d'une joie sincère, celle d'être ensembles. Des toiles étaient également accrochées sur les murs. De l'art abstrait. Je ne m'y connais pas du tout en art mais j'avais la vague sensation que ces tableaux avaient une valeur plus que décoratives. Une signature ornait le bas du tableau. Mais la peinture écaillée par le temps m'empêchait de distinguer les lettres clairement. Je me promis de demander à Cléo une fois débarrassée de cette odeur nauséabonde. 

Nous passons par le salon en coup de vent avant d'atterrir devant la porte de la salle de bains. 

- Je vais te chercher une serviette et des vêtements.

Je lui souris légèrement pour la remercier et j'entrai aussitôt dans la pièce pour me déshabiller et m'engouffrer dans la cabine de douche. J'ouvrais l'eau et tremblais aussitôt sous le coup du jet brûlant. Fermant les yeux sous la pression, j'entendis vaguement la porte de la salle de bains s'ouvrir. Cléo étouffa un petit hoquet de surprise quand elle s'aperçut que j'étais déjà sous la douche. 

- Tu... 

Je balbutiais. 

- Euh excuse-moi... Je ne voulais pas imprégner ta maison de cette odeur infecte... 

Elle déglutit. Son regard se posa sur mes épaules, épousa ma carrure et finit par se poser sur un mur, quelque part à ma gauche. Elle était écarlate. 

- Je... je... non, non, c'est bon, ce n'est rien... Je te dépose ça là... A toute de suite !

Elle sortit de la pièce en vitesse et claqua la porte derrière elle. Je cogitais sous le jet d'eau pendant de longues minutes. Je cherchais un sujet de conversation, n'importe quoi pour désamorcer cette atmosphère de gêne et de retenue qui s'était installée entre nous. Le trajet de l'entrée jusqu'à la salle de bains s'était fait en silence. Cléo avait semblé vouloir garder deux bons mètres de distance avec moi et semblait aussi refuser de me regarder. L'infime temps où ses yeux s'étaient posés sur moi avait fait monté une décharge d'adrénaline dans mon sang. Son regard était électrisant. Grisant. Sous ce faisceau je me sentais maîtresse de son coeur et ça me plaisait. J'adorais ses yeux sur moi. L'emprise qu'elle avait sur ma personne était immense. Tellement immense qu'elle me terrifiait presque autant qu'elle me grisait. Gênée par le sans-gêne dont j'avais fais preuve et sourde aux imprécations de mon esprit qui me hurlaient de ne jamais sortir de cette douillette cabine, je me dépêchais de sortir et d'enfiler les habits qu'elle m'avait préparé. 

Silent voicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant