Chapitre 4

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- Hélia, va me chercher un pot de pesto, je pense que j'en ai vu un dans le rayon à droite. 

- Ok. 

Je me dirige silencieusement vers le rayon, tournant le dos à ma mère qui s'entête à hésiter entre deux sachets de mozza exactement pareils. Sa vue ne s'arrange décidément pas avec l'âge. 

- Maman, ce sont les mêmes. 

Elle sursaute et se tourne vers moi. 

- Mais... lis moi ce qui est écrit, Kate m'a dit que y'en avait un à moitié prix. C'est lequel des deux ? 

- Ils le sont tous les deux. Etant donné que ce sont les mêmes, maman...

Elle ne me croit pas et secoue la tête. Épuisée par son entêtement, je m'appuie sur le caddie, abandonnant la partie. Mes yeux vagabondent sur les allées éclairées par les néons accrochés au plafond. Je connais ce supermarché par cœur à force. C'est notre petite routine à ma mère et moi, les samedis matins quand je reviens les weekends à la maison. Passer du temps avec elle, comme une revanche sur toutes ces fois durant mon adolescence où j'ai refusé de l'accompagner. 

-C'est fou. Rien ne change ici, je murmure. 

Ma mère tourne la tête vers moi et me sourit. 

- A part toi. Ton regard change. 

Je lui souris en retour. 

- Et toi aussi. Tes cheveux ne sont plus aussi noirs qu'avant. 

Elle perd immédiatement son sourire et mon rire raisonne dans l'allée silencieuse. Il n'y a presque personne dans le supermarché à une heure aussi matinale. 

- C'est bien Hélia... Je vois que l'université ne t'a pas fais perdre ton insolence. 

- C'est de l'humour maman. 

- Tu sais bien que je n'en ai pas. 

- Oui, je sais. 

Elle soupire un peu et passe à autre chose. 

Ma mère n'a jamais eu le sens de l'humour. La faute aux insécurités sans doute. Ancrées dans sa peau comme ces tatouages qu'elle méprise tant. Et pourtant... Parfois, il m'arrive de la voir changer. Retrouver son âme d'enfant. Ses rires deviennent alors des explosions de joie véritable qui me foutent des frissons. Mais je suis toujours surprise. Surprise de la voir exprimer sa joie. Je n'ai pas l'habitude. 

Je la détaille. Des cheveux bouclés, striés de fines lignes blanches. Des yeux bruns, chaleureux, mais sévères. Une bouche fine et des dents blanches. Et un visage un peu rond, blanc. Ses origines taisent leur nom. Elles se frayent un chemin à travers ses lèvres quand elle confond les "e" et les "i", la masculin et le féminin, le présent et le subjonctif. 

Et je l'ai toujours repris. "Non. Ce n'est pas comme ça qu'on dit". Si pleine de ma connaissance, de mes mots qui roulaient toujours avec beaucoup de facilité sur ma langue. Toujours pleine de reproches. Pleine de dédain. Hautaine. Sans cœur. Incapable d'être reconnaissante. Incapable d'admettre mes torts. Mes travers. Qui sont pourtant nombreux. Incapable de lui rendre la vie plus facile. Incapable de me remettre en question. 

Incapable de lui montrer de la bonne manière que je l'aime. 

Dans une irrépressible envie, j'enroule mes bras autour de ses épaules et l'étreins en fermant les yeux. 

"Désolé. Pardon. Pardonne moi. Excuse moi." 

Incapable de prononcer le moindre mot. 

Ma gorge se noue. 

Silent voicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant