- On peut savoir c'est quoi ton fucking problème Hélia ?
Claquant contre mon dos, la voix de Déva me fit sursauter. Sans me retourner, je soupirai d'agacement, me passai la main dans la nuque et attendis la suite.
- Hé oh ! J'te parle sac à vomi !
Je retins un sourire à l'insulte qu'elle utilisa et me retournai lentement pour lui faire face. Je la détaillai un moment. Ca faisait pas mal de temps qu'on ne s'était pas vues. Une semaine que j'évitais son contact, son regard et tout ce qui pouvait toucher à elle. Une semaine que je suivais les TD de criminologie en ligne pour ne croiser ni Déva, ni Cléo et que je mangeais sur le banc de la cours interne pour éviter de les rencontrer au détour d'un distributeur. J'avais espéré être discrète mais visiblement... ça n'avait marché qu'à moitié.
- C'est quoi ton problème ? répète t-elle. Ca te suffit pas de briser le coeur de ma meilleure amie, en plus de ça tu m'ignores ?
- Tu te fous de ma gueule ? Moi, lui briser le coeur ??
Elle esquissa un petit sourire satisfait.
- Là tu réagis hein. Je savais que t'avais un truc pour elle. Mais vu ta gueule depuis une semaine, ta démarche et ta silhouette qui rase les murs avec cette mine de déterrée c'est plus qu'un truc. Alors l'handicapée du sentiment, ça fait quoi d'être amoureuse ?
Un coup dans la poitrine. Son regard suggestif me donna immédiatement la nausée. J'avais oublié à quel point Déva pouvait être... Déva. Elle ne faisait jamais dans la subtilité.
- Amoureuse ? Je ne sais pas, à toi de me le dire crachais-je du bout des lèvres, l'incendiant du regard pour la défier de répliquer.
Elle perdit immédiatement son sourire. Ses yeux s'assombrirent et elle fronça les sourcils, semblant trouver un intérêt soudain au revêtement de gravier.
- C'est bas...
Son chuchotement me serra le coeur.
- Tu l'as cherché murmurais-je, un soupçon de culpabilité dans la voix.
Elle évita mon regard. Le silence entre nous se fit pesant. Ca finissait toujours comme ça.
- Ecoute.
Je levai la tête.
- Cléo n'est pas bien. Elle sourit, elle rit, en apparence elle est comme d'habitude mais tu sais comme moi à quel point elle est capable de jouer la comédie quand il s'agit de prétendre être ce qu'elle n'est pas.
Amère, je répondis sur un ton vénéneux :
- C'est justement pour ça que je ne veux plus rien avoir à faire avec elle. Trop de faux-semblants, trop de mensonges. Je ne sais jamais quoi croire avec elle...
- Mais je sais comment elle se sent vraiment ! Elle n'en dit rien parce qu'elle sait que c'est de sa faute mais elle est vraiment mal. Il suffit de l'observer quand je dis ton nom, quand on t'aperçoit dans les couloirs, en train de lire ou d'étudier. Il suffit de voir comment elle te cherche à chaque cours de TD ou à quel point elle est devenue accro à son téléphone, tant elle guette le moindre signe de toi. La dernière fois, elle relisait vos conversations. Arrête de faire l'aveugle ! Elle t'aime autant que toi tu l'aimes, si pas plus. Alors prends tes couilles en main !
- Encore ?
Elle me regarda, les sourcils froncés.
- Je n'en peux plus de me jeter à chaque fois dans ses bras, de me déclarer à chaque fois, d'espérer sans cesse qu'on avance puis qu'on fasse dix pas en arrière sans transition ! Elle ne sait pas ce qu'elle veut. Moi si. Et bien sûr qu'elle ne m'est pas indifférente. Bien sur que je tiens à elle plus que de raison. Mais ça ne suffit pas. Malheureusement...
- Tu ne connais pas Cléo comme je la connais. Tu ne sais pas pourquoi elle agit ainsi !
- Alors éclaire ma lanterne. Ou plutôt, qu'elle le fasse. J'en ai assez d'être tournée en bourrique comme ça. J'en ai assez des faux-espoirs. Si elle veut me faire passer un message, qu'elle le fasse !
Elle fronça les sourcils à nouveau, l'air mécontent. Clôturant la conversation, je fis volte-face et m'apprêtai à partir lorsque la main de Déva vint se saisir de mon poignet.
- Tu n'as pas répondu à ma seconde question. Pourquoi tu m'ignores ?
Je fermai les yeux un moment, incapable de lui répondre.
- Je ne sais même pas moi-même.
Elle croisa les bras.
- Tu dois te douter que je ne vais pas me contenter de ça hein ? sourit-elle.
Une lueur de malice s'alluma dans ses yeux et son regard se fit... vorace. Elle s'approcha de moi et me fit automatiquement reculer. Son sourire s'agrandit et son regard se fit plus insistant.
- Serait-ce parce que... me chuchota t-elle à l'oreille. Je te trouble... ?
Interdite, je reculai précipitamment. Je ne comprenais pas du tout cette fille. Une fois elle m'accusait de ne pas donner de signe de vie à Cléo et l'autre elle me draguait comme une succube assoiffée de sang.
- Déva. Tu joues à quoi au juste ? J'aimerais savoir.
- Je ne joue pas voyons !
- C'est ça oui. Je ne sais pas c'est quoi votre problème à toutes les deux mais j'en ai plus qu'assez d'être un jouet manipulable entre vos mains. A partir de maintenant, c'est moi qui mène la danse. Je refuse d'être prise pour une idiote à nouveau. Vous voulez jouer ? On va jouer. Oui, tu me troubles. Bien sur que tu me troubles. Tu es bien trop proche de moi pour ma santé mentale. Recule.
Mon ton cinglant la fit ciller. Elle recula d'un pas et me regarda une lueur nouvelle dans les yeux.
- Il semblerait que je t'aies sous-estimée Hélia.
- Tu es loin d'avoir tout vu, Déva.
Son prénom glissa sur mes lèvres avec toute la sensualité que j'étais capable d'y mettre. Je ne savais pas dans quoi je m'engageais. Je n'étais même pas sûre de mes raisons ou de si ça en valait la peine. La seule chose que je pouvais sentir c'était cette blessure, cette haine au fond de moi qui était née avec Léa et qui s'était étoffée avec Cléo. Trop de trahisons, de mensonges, de faux-espoirs. J'en avais plus qu'assez d'être le dindon de la farce dans ce jeu qui me dépassait.
Un dernier regard, un pas en avant et je me glissais à quelques centimètres de sa bouche. Un instant, je me délectais de son regard écarquillé, de son air plein d'attente, de ses lèvres entrouvertes, traversées par cette respiration essoufflée qui caractérisait son désir. La pigmentation de sa peau se mêlait aux rougeurs faméliques qui s'étaient épanouies sur le haut de ses joues et se répandaient à présent sur toute la largeur de son visage. Cette personne que je pouvais voir dans le reflet de ses yeux, je ne la reconnaissais pas. Je connaissais ses cheveux bruns courts qui partaient dans tous les sens, cette haute carrure et ses yeux bruns froids qui m'avaient valu tant de problèmes par le passé. Je connaissais cette silhouette : Elle m'accompagnait depuis tellement d'années que je pouvais la redessiner du bout des doigts sans jamais me tromper. Mais là, au moment où cette personne capturait les lèvres de la petite brunette dans un baiser sauvage et glacial, je ne me reconnaissais plus.
J'étais devenue cette personne que j'avais tant souhaité ne jamais devenir. Cette fille dont ma famille avait peur. Cette personne insensible aux sentiments et aux autres qui se cachait derrière un masque d'invulnérabilité. Cette fille étrange, aux cheveux dorés. Ce monstre qui n'avait ni morale, ni éthique. Cette fille qui embrassait une autre, sans aucune passion, sans aucune émotion, en ayant tout à fait conscience de l'emprise qu'elle avait sur elle.
Ce monstre de chair et d'os qui n'avait fait que mentir des années durant. Qui utilisait à présent la première excuse venue pour ressurgir, plus fort, plus puissant, plus féroce, de moins en moins humain. Déva et Cléo m'avait donné une raison pour montrer le pire côté de ma personnalité. Celui qui était né, des années auparavant.
Celui dont j'avais fais taire la voix, qui avait enfin trouvé la force de hurler.
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Silent voices
Romance"Il est de certaines choses qui se finissent sans avoir même commencé. Des esquisses, des brouillons qui se défont et s'effacent. Les prémices d'une idée qui s'échappe, virevolte, se déhanche, sans qu'on ne puisse mettre la main dessus. Dans mes mom...