Chapitre 27

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PDV CLEO

La neige tombait en flocons paresseux sur le bitume blanc. Le froid s'insinuait à travers les couches de vêtements, attaquait les rectangles de peau blanche, dénaturait le gris de la ville la recouvrant d'un manteau immaculé. Je levais la tête vers elle. 

Ses cheveux bruns tombaient devant ses yeux. Elle ne portait ni gants, ni bonnet, ni écharpe. Simplement un long manteau et de vieilles bottines de cuir noir. Comme si elle était sortie en coup de vent. Ses yeux ne s'étaient pas posés sur moi depuis qu'elle était apparue, apparition divine à quelques centimètres de moi, au moment où je m'apprêtais à tirer un trait sur elle. Le silence auquel elle tenait tant emplissait l'espace et je n'osais pas le briser. Dans cette absence de mot, je pouvais aisément imaginer que nous étions deux amantes engourdies par le froid, à un premier rendez-vous, qui n'osaient pas se tenir la main. L'espace d'un trottoir, je me plaisais à imaginer que je pouvais me saisir de sa paume, à quelques millimètres de la mienne, qu'une simple poussée d'adrénaline pourrait me mener à rejoindre ses bras. A chaque nouveau flocon qui s'échouait sur mes lèvres, je me jurais de les ouvrir pour lui raconter, pour lui expliquer. Mais la peur me nouait le ventre. J'espérais seulement qu'elle s'arrête, n'en pouvant plus de cette absence de réponse, et qu'elle m'implore de dissiper ses doutes. 

Mais Hélia n'était pas comme ça. Le silence était son royaume. Je lui en apprenais probablement plus en ne disant rien qu'en me perdant dans un discours fallacieux qu'elle aura tôt fait de percer à jour. Je ne savais pas comment parler sa langue, ni comment l'atteindre. Il me semblait, à cet instant même, que bien que nous soyions à quelques centimètres l'une de l'autre, je n'avais jamais été aussi loin de Hélia Thakava. A dire vrai, elle avait toujours gardé une certaine distance. Même alors que nos peaux semblaient sur le point de se fondre l'une de l'autre sous le poids de nos étreintes, elle m'était encore hors d'atteinte. 

HELIA - Tu comptes parler ou... ?

L'alternative faillit me faire sourire. Quelle maturité... 

CLEO- Je ne sais pas comment commencer... 

Elle pianota sur le clavier un moment. 

HELIA- Ok. 

J'ouvris la bouche. Et un flot de mots en sortit. Sans que je ne puisse rien retenir. Son visage garda cette inexpressivité caractéristique. Ses yeux gardèrent leur timbre neutre et inquiétant et ne quittèrent pas l'horizon tout le long de mon discours. Lorsque je me tu, elle ne prononça aucun mot. De longues minutes s'égrenèrent dans un silence angoissant. 

- Quel objet tu étais supposée me voler ? murmura t-elle.

- Un dossier appartenant à ta famille...

L'air trahi qui passa sur son visage en l'espace d'une seconde me fendit le coeur. Elle serra les dent et ferma les yeux quelques secondes. 

- Vous vous êtes trompées de cible. 

Sa voix froide me fit sursauter. 

- Co...Comment ça ? 

- Je vis avec ma cousine en colocation. Thalia est l'aînée. C'est à elle que le dossier a été confié. Et elle le porte sur elle constamment, dans une clé usb accrochée à son trousseau de clés. Vous vous êtes trompées de cible. 

Le silence retomba, plombant. La culpabilité m'envahit. Et sa voix dénuée de toute émotion n'arrangeait pas les choses.

- Je... murmurais-je. 

Mais cette phrase n'était pas vouée à se finir. Je ne savais pas quoi dire. Fou comme les mots dénaturent certains messages. Je voulais m'excuser, lui exprimer ce que je ressentais pour de vrai, sans faux-semblants, lui ouvrir ce coeur que j'avais tant pris la peine de fermer. Mais les mots ne suffisaient pas. Les gestes non plus, étonnamment. Plus que jamais je sentais profondément qu'elle était différente de moi. Que nous n'étions pas la même personne. Que je ne pourrais peut-être jamais appréhender qui elle était vraiment. 

- Le moins que l'on puisse dire c'est que ton fameux clan n'était pas des plus informés. 

Son ton me fit frissonner. Indifférent certes, mais terriblement menaçant également. Je levai les yeux vers elle. Et ce que je vis me terrifia. Un désir, mélangé à une expression malsaine de joie mal placée... Exactement le même regard que je retrouvais tous les jours dans les yeux de... Déva.

Elle s'approcha de moi, me fixant cette fois droit dans les yeux. 

- Alors comme ça tu aimes te jouer des gens Cléo hum ? 

Je déglutis. Sa main se levant pour venir réchauffer ma joue. 

- Dis moi... 

Une pause. 

- Ça t'excite de faire du mal aux autres ? murmura t-elle

- No... non !

Ma voix s'étrangla dans ma gorge. Elle reprit : 

- Tu dois bien apprécier pour le faire non ? 

Elle regarda mes lèvres avec avidité. 

- Tu n'es pas le genre de fille à accepter de faire quelque chose dont tu ne veux pas, n'est-ce pas ? 

Une chaleur irradiante me prit à la poitrine. Son corps pressé contre moi associé à son souffle pressant contre mon oreille n'avaient rien d'anodin, j'en étais parfaitement consciente. Mais j'étais incapable de me contrôler... 

- Ou alors je me suis trompée sur ton compte et mon esprit d'analyse me fait de plus en plus défaut... 

- Hélia, s'il te plaît... 

J'haletais. La pulpe de son doigt vint rencontre celles de mes lèvres. 

- Chut... Tais toi. 

Son air méprisant me fit presque monter les larmes aux yeux. Une partie de moi grondait, griffait, pour sortir et reprendre le contrôle. Mais la culpabilité et l'emprise de ses yeux sur moi me tenait prisonnière de liens invisibles que j'étais incapable de briser... cette fois.

- C'est ça, rit-elle. Tiens ta langue vipère. 

Elle se pencha vers mes lèvres. Avant de murmurer contre le dessin de ma douche : 

- Ou sinon je te l'arrache avec mes dents... compris ? 

Un tremblement me prit. Des envies contradictoires m'enserrèrent. Une envie suffocante de l'embrasser embrassait un besoin puissant de la gifler. De ses mains elle me poussa plus encore, jusqu'à ce que mon dos ne heurte le mur en pierre d'une façade. Les mots s'échappèrent spontanément, traîtres à ma volonté : 

- Embrasse-moi...

Elle s'exécuta. 

Aucun de ses baisers n'avait jamais été aussi pressant, conquérant, sauvage. Ses caresses s'étaient muées en morsures, sa douceur en violence. Sa timidité en une arrogance placide et froide qui avait prit possession d'elle. Ses mains défiaient les lois de la physique, me touchant partout et nulle part à la fois. Brûlante, ses lèvres vinrent s'acharner sur le dessin de ma mâchoire, ses dents vinrent mordre avec fureur l'intérieur de ma joue. Elle n'était plus elle-même. Je ne la reconnaissais plus. Et pourtant sa façon possessive de me presser contre elle, son air affamé, délirant, empli de fièvre me donnait encore plus envie d'elle. Rien dans son regard n'exprimait d'affection ou d'amour. Pas la moindre trace de sentiments. Juste cette haine, cette colère qu'elle exprimait jusqu'au toucher de ses mains palpant mes seins, griffant mes clavicules, sans se soucier un instant du fait que nous soyons dans une rue, à la vue de tous. 

Soudain, elle s'arrêta.

Pantelante, je gémis, en manque de sa présence contre moi, de sa langue contre la mienne...

- Cléo... susurra t-elle 

Son ton froid fit s'arrêter mon coeur. Elle chuchota dans mon oreille : 

- Tu ne me toucheras plus jamais. A partir de maintenant, je fais ce que je veux. Et j'en ai tous les droits, tu le sais parfaitement. 

Et puis elle ajouta, ne me quittant pas des yeux : 

- A partir de maintenant, tu es à moi. 






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