Silent voices

Chapitre 15

La sonnette vint nous interrompre en pleine préparation culinaire. J'avais eu le malheur de me proposer pour faire cuire la sauce et Thalia avait eu le malheur de me faire confiance. Résultat des courses : Une sauce à l'ail complètement cramée et un appartement envahi par la fumée et par l'odeur de brûlé. 

Thalia se dirige vers la porte, me laissant m'occuper des tâches sur le sol. J'entends la voix de Kira dans le vestibule : 

- Putain Hélia mais qu'est-ce que t'as encore foutu... 

Je m'apprête à me défendre mais Thalia déboule dans la cuisine en furie, brandissant son index devant mon nez.

- Ne t'avises pas de dire que c'est de ma faute ! 

- J'allais pas du tout dire ça !

- C'est ça oui ! 

C'était exactement ce que j'allais dire. 

Rylan entre à son tour suivi d'une grande blonde à lunettes. 

- Je savais qu'on aurait pas dû venir... soupire-t-il en direction de sa copine. 

Elle rit doucement, l'air un peu gênée. 

Kira et moi échangeons un regard tacite. Il faut absolument la mettre à l'aise. 

- Tu es Eva c'est ça ? 

Elle acquiesce timidement. Je m'apprête à lui tendre la main pour la lui serrer mais Thalia vient se poster devant moi, les mains sur les hanches. 

- T'avises pas de toucher cette jeune femme avec tes mains pleines d'ail. Va te laver et habille-toi nom de Dieu... 

- Je suis en brassière ! 

- Il fait 8° et tout va pas partir en facture de chauffage parce que t'es incapable de mettre un sweat comme tout le monde ! 

- Mais... t'es pas ma maman ! 

- M'en fous. Dépêche. Je compte jusqu'à trois. 1,... 

- Sérieusement... 

A la vitesse de l'éclair je jette mon tablier dans les bras de Rylan qui me regarde à deux doigts de la mort, passe devant Kira qui se roule par terre de rire, sourit à la pauvre Eva qui regrette sûrement d'avoir dit oui et cours jusqu'à la salle de bains. 

Je sors de la cabine enveloppée dans un nuage de vapeur. Thalia avait raison cette douche m'a fait beaucoup de bien. J'étais tendue sans trop savoir pourquoi à vrai dire. Toute cette histoire avec Miguel m'a tellement occupé l'esprit que j'avais presque oublié Déva et Cléo. Je m'empare de mon téléphone et le déverrouille machinalement. J'ouvre Instagram et parcours les stories machinalement. Les pubs s'enchaînent, d'anciens amis du lycée, des youtubeurs, des écrivains et... Déva. Une story en amis proches. La fête bat son plein sur le petit écran. Elle est avec Cléo...  Un petit pincement au coeur. La prochaine story est dans un bar. Et là, mon esprit se vide. Cléo est debout sur une table du bar, en soutif et danse lascivement contre une autre fille que je n'ai jamais vue. 

Comme lors de notre sortie en boîte, mon cerveau se met sur off et je ne parviens pas à détacher mes yeux de son corps qui ondule, éclairé par moments par les lumières colorées du plafond. Un parterre d'hommes s'est formé à ses pieds. Ils tendent leurs bras vers ses jambes dénudées. Elle est en jupe... 

Je déglutis aucunement préparée à voir cela. 

J'ai chaud tout un coup. Elle me donne chaud. Son regard qui transperce la caméra me fixe à travers l'écran, m'étreint. Ses yeux sont mis en valeur comme ils ne l'ont jamais été, soulignés par un lourd trait noir qui assombrit son regard. Sa bouche légèrement entrouverte me rappelle d'exquis souvenirs. Je ne parviens pas à refermer la story et il y en a plusieurs d'elle. Je les regarde toutes. Je ne peux pas m'empêcher de la trouver sexy au diable dans ces habits, avec cette attitude. Et pourtant il y a autre chose. Derrière cet écran, à l'abri dans ma salle de bain j'ai l'impression d'entendre son souffle erratique, sa respiration sifflante, les battements de cils qui font tout pour retenir ses larmes. Ce sourire-là n'est qu'une façade.