Chapitre 16

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Je suis réveillée par la sonnerie stridente de mon téléphone. Je sursaute et manque de tomber du canapé. Kira est allongée de tout son long sur moi et elle bave sur mon t-shirt. J'essaye d'atteindre l'objet posé sur la table de nuit mais je n'y parviens pas. Résignée, j'abandonne toute douceur et pousse Kira sur le côté pour me dégager de son corps. Elle grogne un peu puis s'empare d'un coussin avant de replonger dans le monde des rêves. 

Rapide, je m'empare de mon téléphone juste avant que la sonnerie ne coupe. Un appel manqué. Sur l'écran, je n'en crois pas mes yeux. 

"Appel manqué de Cléo"

Je me lève à la vitesse de l'éclair. Et rappelle nerveusement. 

Dans ma tête, je me fais des films. Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Pourquoi m'appeler comme ça à 2h du matin ?

Elle décroche. J'entends sa respiration à l'autre bout du fil. 

- Hélia... 

Elle souffle mon nom et mon coeur s'arrête. Elle a la voix cassée, brisée. 

- Cléo, qu'est-ce qui se passe ? 

Une pause. Le silence se remplit l'espace et l'angoisse monte. Jamais, au grand jamais je n'ai vu Cléo dans cet état-là. Cet appel me transperce, je panique. Elle murmure soudain, interrompant mes pensées : 

- Je t'en supplie viens...

- Où ça ? 

Je m'élance vers ma chambre, enfile un jogging, une écharpe et mes baskets. Elle ne répond pas. 

- Cléo ? Dis moi où tu es.

- Dans le bar de la dernière fois... 

Sa voix est ténue je peine à l'entendre. 

- J'arrive. 

Je coupe la ligne pour me dépêcher encore plus et fonce sur la porte avant de dévaler les escaliers. Je dois sûrement faire un boucan de malade mais sur le moment c'est le dernier de mes soucis. Quelque chose dans sa voix m'a donné la chair de poule. Comme si elle avait froid, peur et qu'elle était triste. Où sont passés Déva et les autres ? Cette fille avec laquelle elle dansait ? Pourquoi est-ce qu'elle se retrouve seule dans cet endroit-là ?

Je prends la voiture et conduis aussi vite que je peux. Mon coeur tambourine dans ma poitrine. J'ai peur de ne pas arriver à temps. J'ai peur qu'il lui arrive quelque chose. Que je la trouve changée à mon arrivée. Quelque chose se trame je le sens, il y a un problème. J'en ai des sueurs froides... 

J'enfonce la pédale d'accélération et serre le volant à m'en défoncer les jointures. Dans le rétro, je suis pâle comme un linge et je claque des dents. 

"Putain de merde, Cléo..."

J'arrive devant le bar. Il est fermé. Devant la porte, une silhouette accroupie tremble dans le froid glacé du matin. Je saute de la voiture sans même débrancher le contact et crie son nom. 

- Cléo !

Un cri du coeur, des tripes. Ma voix se brise sur la dernière syllabe, volée par une bourrasque de vent. Je suis décoiffée, à moitié en pyjama, mais je ne vois qu'elle. Elle n'a jamais semblé si fine, si menue. Si faible.

Elle n'a jamais semblée si humaine...

Elle relève la tête rapidement. Son mascara a coulé sur ses joues, son teint pâle fait ressortir la nuance verte de ses prunelles. Elle est en soutif... Je reste bloquée un moment. Où sont passés ses vêtements...

Des images, des idées terribles me viennent à l'esprit. Je m'avance vers elle, sans faire de geste brusque. J'ai peur de lui faire mal, de lui faire peur. 

Je m'agenouille devant elle, à quelques centimètres de son visage. Elle me regarde dans les yeux sans bouger, sans rien dire. Doucement, j'avance mes bras vers elle et la serre délicatement contre moi. 

Un battement de coeur. 

Elle s'accroche à mon pull à son tour et me serre très fort contre elle. Je la sens trembler. Alors je resserre mes bras autour de son petit corps frêle. Elle ne veut pas me lâcher et je n'en ai aucune envie... Mais je ne peux pas la laisser comme ça, à moitié nue contre moi. 

J'enlève mon sweatshirt et le lui enfile sans un mot. Elle tremble de froid et ses lèvres sont bleues. Ses yeux s'attachent à moi comme si j'étais la seule chose qu'elle pouvait voir, qu'elle pouvait étreindre. Dés que je lui ai enfilé mon pull, je la reprends dans mes bras. L'avoir contre moi... Voilà un sentiment que je découvre et que j'ai peur de ne plus pouvoir m'en passer. J'essuie son nez et son visage avec mes doigts, caresse ses joues de ma paume et elle ferme les yeux sous la douceur de mes caresses. 

Je ne sais pas ce qui s'est passé et je redoute de savoir ce qui a bien pu la mettre dans un tel état. Mais pour l'heure, rien de tout cela n'est important. Je dois la réchauffer. 

Je me lève mais elle ne fait aucun geste pour me suivre. Alors, je me penche et la prend dans mes bras avant de la soulever délicatement. De nouveau, elle se love contre mon cou. Son souffle sur mes clavicules me chatouille et me réchauffe de l'intérieur. Tout mon être bouillonne dés que je suis à ses côtés. 

Je la place sur le siège passager et reviens côté conducteur. Je démarre tranquillement et tourne mon regard vers Cléo. 

Elle me regarde déjà. Ses yeux sont ouverts et conscients mais elle ne dit toujours rien. Sa petite main se tend et vient se poser sur mes doigts qui enserrent le volant. Je les serre autant qu'à l'arrivée... Sa caresse me détend et je m'empare de sa main. Le trajet se passe en silence mais j'aime ce silence là. Elle est là, c'est tout ce qui m'importe.

Nous montons les escaliers de l'immeuble et nous nous engouffrons dans l'appartement. Elle tremble sur ses jambes, je la maintiens comme je peux mais elle tombe de sommeil. Je finis par la porter jusqu'à ma chambre. 

Je pousse la porte de mon épaule et tente tant bien que mal de l'allonger sans la réveiller. Mais dans son sommeil, elle s'agrippe à moi. Ses petits mains glacées s'accrochent désespérément à mon cou et son nez chatouille la peau de ma gorge. Je rougis dans l'obscurité. 

J'ai la tête qui tourne. Son parfum me remplit la tête, m'étourdit, remplissant mon être du sien. 

Je parviens finalement à la déposer sur le lit. Aussitôt, elle se serre contre mon oreiller, le prenant entre ses bras... 

- Aaargh, mais tu veux ma mort... 

Elle ne répond pas. Et je soupire. Epuisée, je lui retire ses chaussures le plus délicatement possible, la recouvre d'un drap et sors allumer le chauffage. 

Quand je revins dans la chambre, elle s'était endormie. 


Silent voicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant