Jour 6

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Cloé pousse la porte qui s'ouvre dans un grincement lugubre. Elle plisse le nez dans une grimace qui me fait sourire, puis entre dans la maison, plongée dans le noir. Les cloches de l'Eglise du village d'à côté résonnent, indiquant minuit. La nuit est douce, et la lumière se prête bien à la vidéo que j'ai prévu de tourner ce soir. Je lance l'enregistrement en rentrant à la suite de Cloé, dont la silhouette projette des ombres inquiétantes sur les murs décrépis. Je frissonne. Ce manoir est parfait. Je redresse la lumière fixée à ma caméra, règle l'intensité, puis les réglages de mon boîtier et l'exploration nocturne se lance. Cloé est naturelle dans ce rôle de présentatrice des lieux. Le micro-cravate qu'elle porte lui permet de parler tout en étant dos à la caméra, ne se tournant ainsi vers moi que pour jeter un coup d'œil mystérieux en direction de l'objectif et appuyer un fait particulièrement étrange. D'après les repérages que nous avons pu faire sur le site, le manoir est très bien conservé, la majorité du mobilier est d'époque, la mise en scène changeante des différentes pièces une œuvre d'art des précédents groupes d'urbexers. La pièce qui me donne le plus envie est la plus grande. Une immense pièce au milieu de laquelle trône une cheminée entièrement repeinte par des passionnés de restauration artistique. Après notre visite du lieu cette après-midi, nous avons pu constater que les précédents urbexers avaient décidé de mettre cette cheminée en avant, en l'entourant de dizaines de rongeurs empaillés de toutes tailles et formes. L'ancien propriétaire avait dû se faire attaquer par l'un d'entre eux pour en posséder autant. Cloé et moi avions frissonné lorsque nous étions rentrées dans la pièce. Ces centaines de paires d'yeux renvoyant la lumière d'une lampe torche directement sur nous, nous avaient mis mal à l'aise. Mais Cloé n'avait cessé de tarir d'éloges : la pièce rendrait si bien à la lumière de ma caméra que nous ne pouvions pas ne pas y passer. Elle faisait monter la pression admirablement bien, mentionnant par-ci par-là l'existence d'un tableau de chasse, d'un couvre-lit en hermine, d'un réseau de cheminée dantesque... Je me mords la lèvre alors qu'elle se retourne vers moi, expliquant quelque chose à la caméra. Qu'est-ce qu'elle est belle. Nous approchons de la salle. Nous avons entre-ouvert la salle en partant tout à l'heure, déjà dans l'espoir de diluer cette odeur d'animal mouillé qui règnait, et d'autre pas pour ne pas ajouter un cut dans la vidéo, puisque c'est moi qui la monte.

-La salle dans laquelle nous allons entrer est un ancien salon, que le propriétaire de l'époque a voulu transformer en salle de balle, avant que le bâtiment ne soit réquisitionner pour l'éducation de jeunes garçons après la révolution française. Aujourd'hui encore, cette salle change de vie à chaque passage d'un urberxer, qui la réorganise selon son gré.

Cloé pousse la porte en silence. Aucun bruit ne filtre. Elle avait raison. Le plan est magistral. Cloé s'écarte pour me laisser passer avec ma caméra, laissant mon seul faisceau de lumière occuper l'écran, dévoilant ces centaines de paires d'yeux. Un moment de flottement s'installe, entre deux temps, pendant lequel je me dis que nous avons bien fait de prendre une lampe électrique et non une bougie, sans quoi les rongeurs empaillés auraient eu l'air encore plus vivant que maintenant. Cloé pose discrètement sa main sur mon bras, me regardant avec ses yeux brillants d'excitation. Le silence est pesant, mais nécessaire pour rendre au lieu sa grandeur. Je passe entre les statues animalières, réalise des plans plus ou moins artistiques, plus ou moins effrayant, me mettant déjà en tête les possibles transitions, les éventuelles musiques que je pourrai ajouter. Lorsque Cloé repasse devant la caméra, remontée comme une enfant à Disney, je frissonne. Entre Mickey et ces animaux empaillés, qui aurait cru qu'un rongeur puisse apporter tant de bonheur...


***

Mot du jour : Rongeur.

Si vous saviez comment il m'inspirait pas celui-là. Non mais "rongeur"... quelle idée !!! L'homme qui partage ma vie (et qui n'aime pas trop tout ce qui est imaginaire) m'a proposé "ratatouille". Mais c'est déjà fait ça nan ?

BREF au final, j'ai eu une idée un peu de nulle part, en donnant un cours d'anglais et POUF c'est parti sur une histoire courte dans un manoir un peu glauque.

Lol.

J'espère que vous avez bien aimé ^-^ Malgré tout je l'aime bien cette histoire, elle m'a forcée à travailler davantage les descriptions ... enfin ... on a vu mieux niveau descriptif, mais voilà, j'ai eu l'impression de vraiment devoir me projeter dans ce manoir pour le décrire. Je suppose que c'est une étape pour apprendre à décrire que de pouvoir se projeter.

Allez je m'arrête, ma NDA va être plus longue que l'histoire.

A demain !!! :D

Pentober 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant