Jour 17

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Mahmoud inspira en attrapant la corde à deux mains, ignorant la douleur pour maintenir l'ensemble des bagages en place au centre de l'embarcation. La mer était agitée aujourd'hui. C'était la pire nuit pour partir, mais le passeur ne leur avait pas laissé le choix. Il les avait réveillés, ne leur laissant qu'une dizaine de minutes pour se préparer et monter dans ce rafiot en ruine.

Il entendit quelqu'un hurler en Peul, langage qu'il ne comprenait pas. Il cru cependant saisir l'urgence dans la voix de cet homme de l'autre côté de la barque, décidant Mahmoud à surpasser encore la douleur pour, en lâchant la corde d'une main, se saisit d'un bras frêle qui semblait perdre l'équilibre. Les prières se faisaient de plus en plus fortes, dépassant le volume des vagues qui se fracassaient les unes contre les autres autour d'eux.

Mahmoud ferma les yeux. Les larmes qui coulaient dorénavant n'avaient plus rien à voir avec la pluie qui fouettait ses joues : il avait peur. Il n'avait plus cet espoir qui l'animait il y a quelques heures encore, alors qu'il sortait du contener dans lequel le groupe avait dormi la veille. Il avait surtout ce vide au fond de son ventre, tordant ses entrailles, entraînant cette envie de vomir grandissante qui le faisait se recroqueviller. Il n'était plus si sûr que partir de la Libye était une si bonne idée. Certes son pays n'était plus en capacité de lui offrir un futur stable, ni même une famille, mais au moins, rien là-bas ne l'obligeait à vivre ça, à risquer sa vie dans une tempête, à atteindre des summums de stress dont il n'aurait jamais cru son corps capable. Il secoua la tête en plissant son nez. Il savait que ces pensées étaient ridicules, qu'il aurait dû prendre parti dans la guerre en cours chez lui, qu'il aurait dû devenir soldat pour quelqu'un s'il avait voulu survivre, qu'il aurait dû avancer jour après jour, une terrible peur au fond de son cœur... mais la situation, la houle, le vent, cette odeur rémanente et désagréable de sel, et ces éclats de tonnerre qui dépassaient parfois le bruit des vagues.... tout ça le persuadait qu'il avait pris la mauvaise décision. Il avait parlé avec des personnes arrivées en Europe avant lui. La plupart lui avaient décrit une adaptation dure, dans un Etat ne vivant que via une administration aussi longue que complexe, de laquelle sortir devenait presque impossible, et dans laquelle entrer était inimaginable. Cet Etat d'entre deux existences, où l'individu n'existe plus que dans son absence : on ne le rejette pas parce qu'il n'est personne, mais parce qu'il dérange ceux qui sont quelqu'un.

Mahmoud baissa la tête, serrant plus fort à la fois la corde ainsi que le bras qu'il tenait toujours. Il n'avait pas les moyens de retourner en Libye de toutes les manières. Il avait dépensé tout ce qu'il avait dans ce voyage. Tout sauf cet acte de naissance, qu'il gardait précieusement, au sec, protégé par plusieurs pochettes plastiques et des sacs, qu'il avait accroché à sa jambe gauche avec une ceinture. Il savait, grâce à l'expérience de ceux qui étaient partis avant lui, que ce papier pourrait accélérer beaucoup de choses, et était par ailleurs ce qu'il avait de plus précieux au cas où il rencontrerait des pirates : les actes de naissance sont du pain bénis pour les nouvelles identités. Sans s'en rendre compte, Mahmoud serra les cuisses et la mâchoire. Oui, il était désespéré, il avait froid, il avait peur, plus le temps passait plus il se rendait compte qu'il détestait l'eau, mais il ne laisserait pas tomber. Pas ici, pas aujourd'hui. Si lui ne réussirait pas à s'en sortir, il se devait d'essayer d'arriver, au moins pour ces personnes dans le bateau, ces enfants et ces mères qui n'avaient sa force, ne pouvaient garder entier ce rafiot en tirant sur des cordes.

Il donnerait sa vie s'il le fallait. Il tiendrait. Pour lui, pour les autres, pour tous ceux qui avaient un jour essayé d'échapper à leur destin en forçant une chance qui ne semblait pas vouloir venir.

Il lui sembla apercevoir une lumière au travers des nuages. Il sourit. Ses ancêtres le surveillaient, il ne lui arriverait rien.

***

Mot du jour : Tempête.

J'avais le choix entre écrire une histoire de pirate, inspirée par Jack Sparrow maiiiiis des événements dans ma vie, et des rencontres ont fait que je me suis plutôt orientée vers une histoire ... compliquée. Je suis sûre de n'avoir réussi à rendre à ce genre de décision sa justice, mais je voulais au moins en parler.

J'espère que ça vous a plu :D

A demain pour une nouvelle histoire !!

Pentober 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant