Jour 23

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Je pensais que la journée allait être la même que depuis le début de mon stage ici, patienter derrière l'accueil, regarder les gens se faire rediriger vers les services les plus adaptés. En théorie. Le gardien de la paix à l'accueil me regarde poser mon sac derrière lui, et sortir mon petit carnet, prendre des notes inutiles que je ne mettrai certainement pas dans mon rapport.

-Tu as appris des choses alors ? me demande-t-il.

-Des choses et d'autres.

-C'est ton dernier jour, si tu veux, ce soir je t'emmènerai faire un tour dans l'armurerie, ça te dirait ?

Je hoche la tête en souriant. Oui, ça ça peut être intéressant. J'allais le remercier quand la porte coulissante du commissariat s'ouvre sur une femme qui entre, furieuse et en pleurs.

Elle ne fait pas de manière, poussant les gens sur son passage, jusqu'à arriver à l'accueil, frappant le bois aggloméré vernis avec ses gros doigts bagués. Elle secoue sa tête, semblant retenir un cri de lamentation derrière un long soupir. De là où je suis, je vois bien ses yeux rouges, son nez irrité d'avoir été trop frotté et les spasmes de sa lèvre inférieure certainement fatiguée de se tordre. La dame commence son récit, sous le regard mauvais des quelques personnes devant qui elle est passée sans vergogne. Son fils, son bébé, la prunelle de ses yeux, qui lui aurait été enlevé alors qu'elle étendait le linge dans son jardin. Il jouait devant sa maison, tranquillement, quand elle avait entendu son fils crier et un crissement de pneus. Elle avait couru, pour retrouver un chausson de son fils sur le trottoir devant chez elle, et le portail du jardin grand ouvert. Elle avait rameuté tous les voisins pour chercher la résidence et poser des questions, mais personne n'avait rien vu, elle avait appelé la police, qui lui avait répliqué qu'il avait peut-être fugué.

-Quel âge a votre fils madame ? fait le gardien de la paix de l'accueil en haussant un sourcil.

-9 ans.

Une fugue à 9 ans ? Des chaussons alors qu'il jouait dans le jardin ? Mon moi intérieur hausse les épaules tout en écoutant la suite de l'histoire de cette femme, qui commence à toucher les mêmes personnes qui la regardaient méchamment il y a encore quelques minutes.

Son petit ange, comme elle s'est mise à l'appeler tout à coup, ne serait jamais parti de son plein gré, et il n'aurait jamais laissé de chausson derrière lui : « il a la peau fragile, vous comprenez ? ». Son petit ange avait été enlevé, et personne ne semblait la prendre au sérieux.

-Depuis combien de temps votre fils a disparu ? l'interrogea le policier de l'accueil.

-Depuis hier monsieur. Je suis si inquiète, s'il vous plaît faite quelque chose, n'importe quoi, passez une annonce sur les chaînes de télévision, mettez tous vos effectifs dans la boucle, mais retrouvez mon petit ange s'il-vous-plaît.

Elle semblait sur le point de retomber dans une crise de larme comme elle avait dû en faire des dizaines depuis l'épisode des crissements de pneus. Je voyais bien que le policier à l'accueil était mal à l'aise et ne savait pas réellement comment réagir : il se balançait plutôt discrètement sur ses pieds, secouant nerveusement le stylo qu'il tenait du bout des doigts.

La femme s'était finalement mise à pleurer quand une personne qui attendait a sommé le gardien de la paix à faire quelque chose. Il se retourne vers moi, me fait signe de me lever et nous nous aventurons dans le commissariat, vers un bureau où j'ai passé à peine une heure en début de semaine.

-Chef, j'ai un possible enlèvement d'un petit garçon de 9 ans.

Je tique. Un petit garçon ? Elle n'a jamais parlé de petit garçon.

-Sa mère est à l'accueil, je vous l'emmène en salle 6 ? continue le policier de l'accueil.

Le-dit chef acquiesce, sans nous jeter le moindre regard, ni émettre le moindre son. Il est austère, sérieux, et fichtrement efficace, mais il me fout les jetons. Je secoue la tête en sortant du bureau pour emprunter le couloir du public qui nous permet de rejoindre l'autre côté de l'accueil.

-Ils me l'ont pris, sanglote la femme, ramenant un mouchoir devant ses yeux, son visage déjà ridé sans qu'elle paraisse si vieille disparaissant derrière ses mains boudinées. Ils m'ont arraché mon petit ange.

Elle ajoute quelque chose que je ne comprends pas, noyé dans la morve qui sort de son nez, ainsi que ses larmes qui semblent ne pas se tarir. Nous arrivons dans la salle, le gardien de la paix me fait sortir, fermant la porte à clef après avoir prévenu la femme que son collègue allait arriver plus tard. Il me conduit ensuite dans une salle que je n'avais pas encore visitée, où une dizaine d'écrans se partagent 5m². Des caméras de surveillance des différentes pièces du commissariat. Quelques bulles d'excitations éclatent dans mon cerveau, mais je prends la décision de ne rien noter. Je noterai mes sensations, ce que j'aurais comme souvenir de mes sentiments, pas ce que je vois. Je veux avoir le loisir d'oublier cette scène pour pouvoir la revivre le jour où je retournerai dans une telle pièce. Il tire une chaise qu'il me désigne. J'y prends place alors qu'il s'adosse au bureau derrière nous. Il monte le son. Le chef ne tarde pas à retrouver la femme qui n'a cessé de pleurer.

-Madame, comment vous vous appelez ? commence-t-il.

-Jeanine Gontrand, monsieur.

-Et votre fils, madame, comment il s'appelle ?

-Philibert, monsieur.

Le blanc qui suit me fait comprendre que le chef est d'accord avec moi : quel nom de merde.

-Et depuis quand Philibert a disparu madame ?

-Depuis hier, je l'ai déjà dit à votre collègue. On m'a enlevé mon bébé, ils m'ont arraché ma raison de vivre monsieur, vous comprenez ?! Faites quelque chose enfin ! Bon sang ! Qu'est-ce que vous attendez pour faire quelque chose ? Diffusez des alertes nationales, des... des... donnez des récompenses pour des informations, je ne sais pas, invitez vos experts pour analyser les traces de pneus devant chez moi ! Nom de Dieu mais faites quelque chose !

Son hystérie ne semble faire ni chaud ni froid au chef qui garde son regard sur son petit calepin sur lequel il semble noter quelque chose, au grand désespoir de la femme, qui fouille nerveusement dans son sac à main en marmonnant des choses que je ne comprends pas avec la saturation du son de la caméra.

-J'ai ramené une photo pour vous aider dans votre travail, regardez, mon petit Philibert, mon bébé, mon amour... Priez pour qu'ils ne lui fassent pas de mal !

Je manque d'éclater de rire quand le gardien de la paix à côté de moi s'étouffe presque en voyant la photo que la femme a posé sur la table. Le petit ange, le bébé, le fils de madame, n'est autre qu'un teckel roux à poils longs.

Je me mords la lèvre. Mon rapport de stage va être tellement drôle.


***

Mot du jour : Arracher.

Yosh ! Elle est longue l'histoire du jour haha ! En vrai j'avais pas trop d'inspi, du coup j'ai fait une liste de tout ce qu'on pouvait arracher. J'suis passée par une ébauche de scène de viol dans laquelle on aurait arraché les vêtements de la victime... sauf que Wattpad ne manque pas de ce genre de scènes, je ne voulais pas ajouter du contenu à une culture malsaine. Arracher des dents, c'est pas franchement ouf comme sujet, arracher des ongles... beh si vous voulez des scènes de torture, je vous invite à lire mon histoire "Camp Royal", et... arracher un enfant à ses parents. Là c'est plus intéressant. Surtout si on ne parle pas d'enfants eheheh.

Bref. Je me suis amusée un peu pour rien.

J'espère que ça vous a plus malgré tout, et je vous dis à demain pour une nouvelle histoire ! :D


Pentober 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant